Le 13 janvier dernier, la sélection féminine du Brésil s’est inclinée 6-0 contre l’équipe U16 masculine du Grêmio, provoquant un nouveau tollé sur la toile. Béatrice Barbusse, ancienne handballeuse et sociologue a accepté d’y réagir pour L’Équipière .
« Les hommes ont le droit de jouer au football depuis plus d’un siècle, mais ce n’est pas le cas des femmes »
Ancienne handballeuse et ancienne présidente du Centre national pour le développement du sport et sociologue où elle était responsable du plan de féminisation, Béatrice Barbusse ne mâche pas ses mots quand on évoque la récente défaite de l’équipe brésilienne. Sa voix détonne à l’autre bout du fil : « La sociologue que je suis ne souhaite plus perdre son temps avec ce genres de sujets qui n’en sont pas ». Elle se souvient de cas similaires dans le passé, comme la défaite des Américaines contre des U17 de Dallas en 2017. Pour elle, la défaite d’une sélection féminine contre une équipe masculine de jeunes n’est pas une surprise et s’explique simplement par l’histoire du sport. « Les hommes ont le droit de jouer au football depuis plus d’un siècle, mais ce n’est pas le cas des femmes ! Elles s’entraînent moins, avec moins de moyens et depuis moins longtemps donc c’est normal qu’elles soient moins performantes », explique la sociologue. En effet, le football féminin a été reconnu en France en 1970 par la Fédération Française de Football (FFF), qui avait alors déjà 51 années d’existence. Les différences de budget dédié aux femmes et aux hommes ne sont pas non plus un secret.
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« Pendant qu’on parle de ça, on ne parle pas de l’essentiel »
Béatrice Barbusse souhaite donc recentrer le débat sur les sujets qui, selon elle, sont essentiels. Sans vouloir faire de différence entre les différentes thématiques qu’elle met en avant, elle évoque : l’égalité des primes et des salaires entre femmes et hommes, la professionnalisation du football féminin, le problème de la structuration du football féminin amateur, les questions du racisme et du port du voile… Selon l’ancienne handballeuse, tout se résume à un objectif : « que les femmes puissent vivre de manière égalitaire avec les hommes. Qu’on y accorde la même importance qu’aux hommes ». Consciente que ce discours n’est pas encore accepté par tous, mais surtout considérant les réactions incendiaires de certains face à la défaite des Brésiliennes, elle n’hésite pas à compléter en disant que, « quand on y réfléchit bien, il y a une dette envers nous et il est temps de la régler » en récupérant le temps perdu.
« Si vous avez la volonté politique de le faire, vous pouvez. On trouve toujours des moyens »
Bien entendu, elle sait que ces changements ne peuvent pas se faire en un claquement de doigts et anticipe notre question : « C’est sûr qu’aujourd’hui ce n’est peut-être pas rationnel de demander l’égalité de salaire, mais c’est important de le mettre dans l’agenda politique et de dire que c’est vers ça qu’on veut aller. » Elle appelle à une mobilisation de tous les acteurs du football pour y arriver, améliorer les conditions du football féminin et la vision qu’on lui porte. La FFF, bien sûr, est la première à pouvoir agir pour contribuer au financement et à la structuration du football féminin allant jusqu’à la professionnalisation : « Peut-être que les instances internationales et la fédération de football doivent mettre davantage la main à la poche pour soutenir cela. » La responsable de la féminisation au sein de la Fédération française de handball explique que c’est déjà ce qu’elle essaie de mettre en place dans ce sport, dans la mesure du possible. De même, les clubs devraient aussi faire leur possible : alors que certains n’ont pas les moyens, d’autres pourraient investir dans leurs sections féminines sans mettre en péril leur budget, voire même aider les clubs plus en difficulté qu’eux. Enfin, Béatrice Barbusse appelle les joueuses à s’engager : « Quand vous voyez certaines sportives, en particulier des footballeuses (ce sont les moins engagées)… C’est aussi quelque chose à améliorer – que les joueuses s’engagent et prennent en main leurs destins. […] Plus elles seront nombreuses, plus elles se soutiendront et moins elles auront peur de dénoncer. »
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« Il faudrait se débarrasser de ce qu’on appelle dans le cinéma le “male gaze”, le regard masculin. »
Mais pour changer le regard porté sur le football féminin, les médias ont un rôle capital à jouer. D’abord, quantitativement : Béatrice Barbusse met en avant le chiffre de moins de 20% de médiatisation du sport féminin. En effet, selon le CSA, le sport féminin a atteint près de 18% des retransmissions sportives à la télé en 2016, et l’institution avait défini l’objectif de dépasser le seuil des 20% en 2019. Or, c’est en parlant du sport féminin régulièrement que la vision qu’on en a pourra changer et que des sujets comme celui de la victoire des U16 de Grêmio ne fera plus débat. En en parlant régulièrement et en réduisant les biais dans le regard que chacun porte : « On a l’habitude de voir des articles écrits par des hommes sur le sport féminin. Et même les femmes, imprégnées du regard masculin, sont aussi parfois coupables de ce genre de présentation. » Et malgré l’universalité de ce biais, la présence féminine dans les médias permet malgré tout de faire évoluer les sujets traités et mettre en avant les particularités et spécificités du sport féminin : « Ça change un peu en ce moment, on parle par exemple des sujets de cycle menstruel et de maternité, qui sont très importants. Et si ces sujets sont traités, c’est parce qu’il y a des femmes dans les médias, aussi. » Après un court silence, notre interlocutrice précise qu’évidemment il y a aussi des journalistes hommes qui font un très bon travail.
« Mon regard s’est désimprégné de l’exclusivité masculine »
Pour appuyer son argument, elle décide aussi de partager son expérience personnelle en la matière : « Pendant dix ans, en tant que présidente d’un club professionnel masculin de handball, je n’avais regardé aucun match féminin à l’exception de certaines grandes compétitions à la télé. […] Quand je suis arrivée à la Fédération pour m’occuper de la féminisation, j’étais obligée de m’y intéresser. Les premières fois que j’en ai revu, je me disais “qu’est-ce que c’est que ça ?”. Je trouvais le jeu moins sympathique, moins rapide, moins intéressant… tout ce que certains reprochent aujourd’hui au football féminin : elles sont moins rapides, moins puissantes, etc. Mon regard était complètement imprégné du handball masculin et je regardais le handball féminin sous ce prisme. Et depuis que mon regard s’est habitué à en voir en direct, je trouve le handball féminin aussi physique, aussi dense que le masculin. J’apprécie tout autant regarder un match féminin que masculin. Mon regard s’est désimprégné de l’exclusivité masculine. » Un exemple qui illustre bien qu’un changement de perception est possible avec de la bonne volonté, à tous les niveaux.