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Ceux de l’ombre : Entretien avec Dimitri Lipoff, coach adjoint et préparateur physique

Par 03/02/2021 10:00 No Comments
Dimi
Dimitri Lipoff et Christophe Gamel lors d’un entraînement au Paris Saint Germain ©PSG
Depuis plus de 12 ans, Dimitri Lipoff consacre sa carrière au football féminin. Préparateur physique et coach adjoint en France et jusqu’en Chine, ce technicien polyvalent est revenu pour l’Équipière sur l’importance des différents postes qu’il a occupés et sur son parcours.

De l’Olympique Lyonnais jusqu’en Chine avec Farid Benstiti

Passionné par le football depuis l’enfance, Dimitri Lipoff n’est pas devenu joueur professionnel mais orthoprothésiste au Centre Orthopédique Paul Santy de Lyon. Ce métier singulier lui a permis de côtoyer de nombreux joueurs de football professionnels en post-opératoire. « J’étais proche d’eux mais sans l’être vraiment», explique-t-il. Une proximité qui l’a beaucoup fait réfléchir et qui lui a donné envie de rentrer dans le monde du ballon rond. Au même moment, un de ses amis passait le diplôme universitaire européen de préparateur physique. « C’est comme ça que j’ai décidé de tout lâcher et de passer ce diplôme », se souvient le technicien.

Et pour le valider, un stage en club de haut niveau était obligatoire. Après plusieurs demandes et plusieurs échecs, il a « frappé à la porte de l’Olympique Lyonnais féminin » où Farid Benstiti l’a accueilli à bras ouverts, raconte-il. En tant que stagiaire, il débute comme préparateur physique des U19 nationales, avant de devenir entraîneur des U12, le tout en prenant en charge les joueuses blessées des U13 à l’équipe de D1. Après trois années à Lyon, Dimitri Lipoff décide de suivre Farid Benstiti en Russie, où ils s’occuperont de l’équipe nationale et du Rossiyanka Moscou, un club de première division féminine avec lequel ils finissent champion national. D’origine russe, le préparateur physique y a vu une grande opportunité. Sa maîtrise de la langue locale lui a permis d’endosser de nouvelles responsabilités : « J’ai pu travailler dans d’autres domaines que la préparation physique et comme on n’est parti qu’à deux, je suis rapidement passé adjoint », explique le Lyonnais.

Dimitri Lipoff et Farid Benstiti au Paris Saint Germain ©PSG

Dimitri Lipoff commençait alors à gagner de l’expérience, et l’aventure était loin d’être terminée : Farid Benstiti qu’il avait suivi en Russie, l’emmène avec lui au PSG, où ils sont restés de 2012 à 2016, puis en Chine au Dalian Quanjian Female FC jusqu’en 2018. En tout, les deux hommes ont formé un binôme pendant dix ans avant de partir chacun de leur côté : l’un a été nommé à la tête de la nouvelle franchise lyonnaise – l’OL Reign – et l’autre est resté en Chine, à Nanjin puis à Wuhan. Mais Dimitri Lipoff restera toujours reconnaissant envers Farid Benstiti : « C’est la personne qui m’a fait confiance. Il a eu un véritable rôle formateur pour moi. Nos différences de caractère sur et en dehors du terrain ont fait notre force toutes ces années, récompensées par des titres et surtout une sacrée aventure humaine. »

Adaptation et communication

« Une joueuse qui se blesse, c’est une joueuse qui ne progresse pas en plus de ne pas jouer »

Avec sa double casquette de préparateur physique et de coach adjoint, et les différentes équipes où il a évolué, Dimitri Lipoff a dû s’adapter.

Concernant son rôle de préparateur physique, la base du métier est la même partout : faire en sorte d’avoir le moins de blessure possible dans l’effectif parce qu’« une joueuse qui se blesse, c’est une joueuse qui ne progresse pas en plus de ne pas jouer », souligne le Rhodanien. Ensuite, l’objectif est d’optimiser les performances athlétiques de chaque joueuse et d’amener le groupe au niveau requis pour la compétition de haut niveau. Mais la préparation physique est différente selon l’équipe entraînée, d’où l’un des maîtres-mots pour exercer ce métier, selon Dimitri Lipoff : l’adaptation. En effet, s’il n’y a pas de « formule magique », cette préparation va dépendre du groupe, du championnat dans lequel il évolue mais aussi des objectifs du club. « Si on veut être champion de France, ce n’est pas la même chose que se qualifier pour la Ligue des Champions ou encore éviter la relégation », explique-t-il sans détour.

« Tu peux être le plus grand théoricien de la planète, si tu ne communiques pas avec tes joueurs et tes joueuses, ça ne peut pas marcher »

L’adaptation est encore plus importante dans le métier d’entraîneur adjoint : ce rôle dépend exclusivement du coach principal. « Vous avez des coachs introvertis ou extravertis, certains qui ne veulent absolument pas être dans la discussion, d’autres qui ont beaucoup de choses à gérer et qui délèguent… », raconte le technicien. Il existe donc une multitude de possibilités et Dimitri Lipoff en a connu plusieurs dans les différents clubs où il a évolué. Tout d’abord en Russie, où il avait très peu d’expérience à ce poste : « Concrètement, je n’étais qu’un applicateur, je faisais ce que l’entraîneur principal me disait de faire ». 

Dimitri Lipoff
Dimitri Lipoff lors d’un entraînement à Wuhan

Mais ce fût tout autre chose en Chine : « Farid Benstiti était plutôt en position de manager général, il s’occupait du management du club et de son groupe de joueuses, et derrière il m’a laissé les clés du terrain, en particulier lors de ses nombreux allers-retours en France ». Dans ce scénario, le coach adjoint s’occupe du côté technique, de la tactique, du mental et peut faire les choses à sa manière, tout en suivant les directives et la philosophie de jeu de l’entraîneur principal. Enfin, le coach est toujours dans l’échange avec son adjoint, tout est fait à deux.

La communication est l’autre qualité essentielle pour exercer le métier de coach adjoint et de préparateur physique selon Dimitri Lipoff. Il n’hésite pas à s’appuyer sur tous les membres du staff technique et médical, mais aussi sur les joueuses leaders de son équipe. « La communication est le propre de l’être humain, elle est importante dans n’importe quel domaine de la vie. Et dans le football c’est pareil : tu peux être le plus grand théoricien de la planète, si tu ne communiques pas avec tes joueurs et tes joueuses, ça ne peut pas marcher. » 

Chine : entre trophées et crise sanitaire

Après deux saisons à Dalian avec Farid Benstiti, et deux titres de champions de Chine, Dimitri Lipoff a rejoint le club de Nanjin, où il a une nouvelle fois remporté le trophée national. À la fin de la saison, il rentre en France pour les vacances mais la crise sanitaire de la Covid-19 éclate et il se retrouve bloqué à Lyon. Il y retrouve sa famille. Heureusement, son club est parvenu à le faire rentrer rapidement, moyennant une quatorzaine obligatoire. « J’étais complètement isolé dans une chambre d’hôtel, c’était quatorze jours difficiles à vivre pour moi parce que je ne suis pas quelqu’un qui sait vivre enfermé et seul », raconte-t-il. 

« Après ce confinement, j’ai récupéré des joueuses qui avaient littéralement fondu, elles n’avaient plus de muscle, elles étaient très fatiguées et complètement désentraînées »

Alors qu’il avait repris le chemin de l’entraînement avec Nanjin, au tout dernier moment avant le début du championnat, le club de Wuhan l’a contacté pour qu’il rejoigne le staff, exclusivement chinois. Une proposition à laquelle il répondra favorablement. Épicentre de la pandémie du coronavirus, Wuhan a été strictement confiné pendant trois mois et demi, sans possibilité de sortir pour les habitants. « Après ce confinement, j’ai récupéré des joueuses qui avaient littéralement fondu, elles n’avaient plus de muscle, elles étaient très fatiguées et complètement désentraînées », se souvient Dimitri Lipoff. Malgré cette situation compliquée, le club a eu la chance de voir le début de championnat repoussé à plusieurs reprises et il a finalement eu six mois et demi pour se préparer. « J’ai aussi eu de la chance d’avoir un effectif de qualité, des joueuses assidues et qui travaillent énormément. Ça nous a amené à de superbes résultats puisqu’on a fini champion de Chine, pour la première fois dans l’histoire et sans aucune blessure », explique l’entraîneur adjoint. 

Wuhan devient champion de Chine pour la première fois de son histoire en 2020 ©Fédération chinoise de football

Avec la hausse de nouveaux cas et l’apparition de variants plus contagieux du virus, la nouvelle saison n’a pas encore repris et Dimitri Lipoff pense qu’elle se déroulera sur le même modèle que l’année dernière, à huis clos avec des tests réguliers. Actuellement bloqué à Lyon avec sa famille, il continue de travailler avec le staff et les joueuses à distance, en attendant de pouvoir y retourner.

Pour cette nouvelle saison, les entraînements ont repris, mais le championnat pas encore, du fait de la situation sanitaire actuelle. « Je suis actuellement à Lyon et je suis bloqué en France parce que les Chinois ont fermé les frontières aux Français. On a trop de cas chez nous. Après, je continue à travailler avec le staff et les joueuses à distance. J’attends que ça se calme pour pouvoir remonter dans un avion et y retourner, à moins qu’un autre club me propose un contrat d’entraîneur principal. » 

Un potentiel technique mais des lacunes tactiques

Si Dimitri Lipoff a travaillé avec de grands clubs français, il est satisfait de son rôle en Chine : « Le championnat féminin chinois n’a rien à envier au championnat français sur le plan technique. La compétition est très intéressante, le dernier du championnat peut battre le premier à tout moment, ça n’a rien à voir avec ce qu’il se passe en France parce que tous les clubs sont professionnels en D1 et en D2. » Concernant les joueuses, le technicien est impressionné par leur travail acharné. « Athlétiquement, les joueuses chinoises travaillent énormément et longtemps, et il y a très peu de blessées. Même si la génétique et le mode de vie entrent en jeu, je suis encore étonné aujourd’hui des capacités athlétiques des joueuses chinoises », analyse-t-il, avant d’ajouter : « Maintenant, tactiquement c’est faible en Chine, c’est le point qu’il faudra travailler à l’avenir pour rivaliser à l’international. » 

L’ambition de devenir entraîneur principal

Après plus de dix ans dans le football féminin, Dimitri Lipoff a vu la pratique évoluer à tous les niveaux dans le monde et particulièrement sur le plan physique. Pour lui, la raison est simple : « Les entraîneurs, les staffs techniques et les préparateurs physiques sont meilleurs, mieux formés, mieux suivis, et donc forcément, le potentiel des joueuses est mieux sollicité et le football féminin progresse. »

Si son poste d’entraîneur adjoint lui plaît et est enrichissant aujourd’hui, le Rhodanien pense à son avenir et prépare des diplômes pour faire évoluer sa carrière. « Devenir entraîneur principal d’une équipe, c’est un objectif. Il faut avancer et je pense que c’est l’évolution normale d’un coach adjoint qui a douze ans d’expérience. J’attends le club ou la sélection qui croira en mon profil », confesse-t-il.

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