Ce jeudi, Magou Doucouré et sa coéquipière Tanya Romanenko (Stade de Reims) ont remporté le concours d’éloquence 2022 de D1 Arkema. Entre égalité, santé mentale et homosexualité, les lauréates ont plaidé pour des causes aussi personnelles qu’universelles.
Dix joueuses de cinq clubs de D1 ont aujourd’hui participé à la finale du concours d’éloquence de D1 Arkema. Pour cette deuxième édition, deux joueuses du Stade de Reims, du FC Fleury, l’ASJ Soyaux, l’Olympique Lyonnais et du GPSO 92 ont opté pour la mise en lumière des problématiques sociétales et propres au football féminin. Des sujets représentatifs des préoccupations des joueuses et des femmes que sont les lauréates du concours ainsi que leurs coéquipières.
Une deuxième édition de haut vol
Lors de cette deuxième édition du concours, les lauréates se sont exprimées tour à tour sur les planches de l’Olympia, à Paris, introduites par Julie Gayet, sous les yeux attentifs de la ministre des sports Roxana Maracineanu, de dirigeants et coachs de clubs de D1, et de médias.
Cette année, le jury était composé de Brigitte Henriques, présidente du CNOSF, du journaliste Hervé Mathoux, des anciennes internationales Jessica Houara et Laura Georges, ainsi que du directeur des sports à Canal + Thierry Cheleman et du président de Prométhée Éducation, Mohamed Slim. Un parterre issu des médias, des institutions du sport et du football français, vers lesquels certains messages semblaient directement s’adresser.
Julie Peruzzetto (GPSO 92) – Homosexualité et football : libérons la parole
Première oratrice, Julie Peruzzetto a voulu se défaire du tabou autour de l’homosexualité qui subsite toujours dans le monde du sport et du football. Confessant sa mauvaise réaction face au coming out de sa meilleure amie, il y a des années, la joueuse faisait son mea culpa pour condamner l’homophobie et en particulier celle, systémique, qui condamne de nombreux sportifs à garder le silence. Mettant en lumière les réactions de soutien pour celles et ceux qui font malgré tout leur coming out, Peruzzetto encourage donc la parole à se libérer et la communauté du sport à être plus tolérante : « Passons du coming out au welcome in ! »
Shana Battouri (ASJS) – Sommes-nous tous égaux ?
Déplorant la réfraction aux différences, la jeune joueuse soutenait que « l’égalité n’est pas naturelle, notre naissance est le point de départ de nos inégalités ». Malgré des propos à première vue pessimistes, évoquant la pluralité des causes d’inégalités et les difficultés à les combattre, Shana Battouri invitait son public à les combattre.
« Le foot est synonyme d’angoisse »
Selma Bacha (OL) – Être ou paraître ? Telle est la question
L’internationale française a décidé d’aborder un sujet qui la touchait directement, celui de la réputation, un aspect important des sportifs et sportives de haut niveau. Bacha soutenait à son audience que l’image qu’elle renvoie à première vue ne correspond pas à qui elle est vraiment : « Je peux parfois être perçue comme arrogante voire irrespectueuse. Ceci est pourtant à l’opposé de mes valeurs ». Citant de nombreuses idoles, parmi lesquelles Rihanna ou encore Wendie Renard, elle expliquait que « dans certains cas, le paraître est une protection, une carapace ». Elle concluait donc en incitant tout le monde à ne pas s’arrêter aux premières impressions car « prendre le temps de connaître n’est pas une perte de temps »
Miranda Smith (FCF) – Santé mentale des athlètes
La milieu de terrain canadienne a fait un plaidoyer poignant dans sa langue natale sur l’importance de la santé mentale dans le sport. Elle insistait sur l’omniprésence des défis psychologiques dans la vie privée et professionnelle des sportifs de haut niveau. L’aspect compétitif de leur métier les expose de fait aux « échecs et [à] faire des erreurs », sources de stress et de divers troubles mentaux, dans un milieu où l’expression de ses sentiments est perçue comme une faiblesse. Smith témoigne de ce sentiment qui ne la quitte pas « le foot est synonyme d’angoisse ». Elle appelle donc à changer de narration, rappelant que les sportifs « ont des sentiments et des émotions » et qu’ils sont « forts mais pas invincibles. »
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Tanya Romanenko (SDR) – Le mental face aux défis
L’internationale ukrainienne évoquait aussi les problématiques de la santé mentale dans le sport. Après avoir mentionné, comme sa prédécesseure, les effets psychologiques des hauts et des bas dans sa carrière sportive, elle s’est intéressée aux interférences de la vie personnelle sur sa santé mentale et sa performance sportive. Romanenko a transporté son public dans sa chambre à Reims, au moment où elle a appris le début de la guerre en Ukraine « Vous réalisez soudainement que tous les problèmes auxquels vous avez eu à faire face auparavant étaient insignifiants ».
Agathe Donnary (GPSO 92) – Naissons-nous tous égaux ?
Comme Battouri, Agathe Donnary s’est intéressée aux inégalités. Elle a en particulier questionné la place des femmes dans le football. Rappelant des insultes sexistes envers l’arbitre Stéphanie Frappart, Donnary a également raconté sa propre histoire. Celle d’une enfant de 7-8 ans qui devait sans cesse prouver sa valeur aux yeux de ses coéquipiers. Repensant à cette époque, elle expliquait que « ces réflexions […] auraient pu me coûter les plus beaux moments de [sa] vie et l’empêcher de réaliser [son] rêve : devenir footballeuse professionnelle ». Pas plus optimiste que sa collègue de Soyaux, elle clôturait malgré tout son discours ainsi: « l’égalité prend sa revanche avec l’approche de la mort. Alors, veillons au respect de la bienveillance et d’égalité des chances. »
« Rompre le silence c’est déséquilibrer tout un système »
Siga Tandia (ASJS) – Homophobie : les mots ont-ils un poids ?
Dans son discours, Siga Tandia s’est faite porte-parole des droits LGBT+. Plutôt que de s’intéresser au tabou sur l’homosexualité dans le sport, la joueuse de Soyaux a insisté sur ce qui en est dit. Mêlant des arguments chiffrés sur l’ampleur de l’homophobie en France et des exemples poignants, elle a ensuite insisté sur le poids des mots: « autant le mot est léger pour celui qui le jette, autant il est lourd pour celui qui le reçoit. » Non contente de dénoncer les actes homophobes et de défendre la communauté LGBT+, elle appelle à la tolérance et au vivre ensemble en citant Jean Cocteau : « L’harmonie, c’est la conciliation des contraires et pas l’écrasement des différences »
Marie Levasseur (FCF) – Brisons l’omerta sur le harcèlement dans le sport
Constatant que « la culture du silence est toujours trop importante, que ce soit pour les victimes, les organisations ou les témoins », la Canadienne appelait à l’action de toutes et tous pour délier la parole. Elle a expliqué la dimension systémique du silence autour du harcèlement qui permet que les cas continuent à se multiplier : « rompre le silence, c’est déséquilibrer tout un système. » Marie Levasseur appelle à libérer la parole des victimes, des témoins par la prise de responsabilités de la part des instances dirigeantes dans le sport : « Je demande à ce que les organisations soient à l’écoute, assument leurs responsabilités et agissent »
Emelyne Laurent (OL) – La sensibilité : atout ou faiblesse pour les sportifs de haut niveau ?
La jeune joueuse de l’Olympique Lyonnais s’est attaquée à un sujet qui lui était propre : la sensibilité dans le sport, un milieu où la force – physique comme mentale – est clé. Elle a voulu expliquer que « la sensibilité est un atout pour atteindre la performance. » Elle s’est attaquée à l’idée que, le sport de haut niveau impliquant des hauts et des bas, la sensibilité serait un inconvénient pour gérer ces émotions. Emelyne Laurent rappelait donc cette dualité : « les défaites peuvent nous briser et les victoires peuvent nous élever » et en faisait une force en expliquant que la sensibilité permet aussi, en toute circonstance, de « savoir ce qu’on veut, savoir où on va »
Magou Doucouré (SDR) – Le racisme
Avec comme prémisse que « chacun a le droit de réclamer son respect pour atteindre sa complétude », Magou Doucouré a fait le choix de prononcer un discours pour rappeler le respect qui lui est dû. Alors qu’elle racontait, avec émotion, un match lors duquel elle a été victime d’insultes racistes, elle attirait l’attention du public sur une réflexion qu’elle s’était alors faite. « Qu’est ce qui a été pire ? Ces cris ou le manque de réaction ? » a-t-elle demandé, les larmes aux yeux. Face à l’indifférence, Doucouré appelle tout le monde, et en premier lieu les institutions et les politiques, à donner la parole aux victimes de racisme, et aux autres à le dénoncer : « entraîneurs, joueurs, joueuses, soyons solidaires, pour ensemble dire stop à ce calvaire. »
Les gagnantes de la deuxième édition
- 1e place ex-aequo : Magou Doucoure & Tanya Romanenko
- 2e place : Siga Tandia
- 3e place : Marie Levasseur