Sur le terrain comme en dehors, Namnata Traoré fait parler sa fougue – ©Nathalie Quérouil
Faire porter sa voix pour ouvrir des voies. Plus qu’un crédo, Namnata Traoré en a fait son sacerdoce. Pour l’Equipière, la virevoltante attaquante de l’US Orléans est revenue sur sa passion du football, sous toutes ses formes, mais surtout sur ses combats et son engagement à toute épreuve en faveur des femmes.
Bien plus que du football
Il est des joueuses qui ont la précieuse faculté d’endosser un nouveau costume une fois le maillot de football tombé. Namnata Traoré en fait partie. A 31 ans, Nam, comme on la surnomme, peut se targuer d’une carrière que nul n’aurait présagée, pas même elle, lorsqu’elle a signé sa première licence en club à l’aube de sa majorité.
Passée par Tremblay-en-France, Saint-Etienne, Marseille ou encore le RC Lens, l’attaquante de l’USO (D2 féminine), en a vu de toutes les couleurs, certaines plus belles que d’autres. De ces expériences, elle fait aujourd’hui une force, pour savourer au quotidien son plaisir de vivre de sa passion, mais surtout pour aider celles qui viendront après sa génération.
C’est dans cette perspective qu’elle a fondé l’association « Jouons comme elles », il y a quelques années, avec son acolyte Sébé Coulibaly. Le manque de structures associatives dédiées aux filles dans leur environnement a fait prendre conscience aux deux footballeuses de la nécessité d’agir rapidement. « On s’est dit qu’on allait créer un lieu où les jeunes filles allaient pouvoir s’épanouir en tant que femme, mais dans tous les domaines : sportif, social. C’est pour cela qu’on a créé ‘‘Jouons comme elles’’, pour valoriser la place de la femme dans la société, par le biais du sport, parce que le sport nous a éduquées. »
Si le football est évidemment un levier pour leur association, il n’est pas leur unique moyen d’action et encore moins leur objectif final. Pièces de théâtre, découverte des métiers liés aux sports, à l’audiovisuel, tous les moyens sont bons pour faire découvrir le champ des possibles à celles et parfois ceux, qui limiteraient leur horizon, par crainte ou méconnaissance. « Il faut montrer aux gamines qu’au-delà du sport, il y a plein de choses, d’autres métiers. Chez les garçons, certains rêvent d’être footballeur professionnel, mais quand ils ne sont pas, ils tombent en dépression. Le football nous a appris à ne pas nous limiter », analyse-t-elle avec lucidité.
Porter des combats
Aujourd’hui plus proche du terme de sa carrière que du début, elle assume de plus en plus son rôle auprès des « petites sœurs », qu’elle prévient des dures réalités du football féminin à haut niveau.
Dans un milieu où les prises de parole sont rares, Namnata Traoré n’hésite pas à défendre son point de vue sur les droits des joueuses et à informer les plus jeunes. « J’ai toujours été une grande bouche, quand je vois des choses qui me déplaisent, je n’hésite pas à le dire. […] C’est à nous de leur dire et de ne pas leur mentir. Quand t’entends la FFF dire que le nombre de licenciées a augmenté, on met une D3, on veut professionnaliser… Il y a beaucoup de non-dits. […] On met en lumière la D1 Arkema, alors que pour qu’elle vive bien, il faut que le football amateur se porte bien. Tant qu’il ne se porte pas bien, le football professionnel sera malade », confie-t-elle.
Alors elle en invite d’autres à faire porter leur voix et faire front commun face aux maux du football féminin tricolore. « Je pense aussi qu’on ne parle pas assez en tant que femme. On voit des choses mais on ne veut pas se mouiller, par crainte de je ne sais quoi. On n’aide pas les générations futures. Quand je vois une gamine qui signe pour un service civique, ça me fait mal. Aujourd’hui on demande à une gamine d’arrêter ses études pour 600 euros alors qu’elle joue en D2 ou en D1 », s’insurge l’attaquante. Des faits qu’elle a observés tout au long de sa carrière, et qu’elle ne pensait plus avoir à décrier en 2024.
« A Tremblay, bien que j’étais en DH, j’étais super bien. Ça fait peut-être partie de mes meilleurs salaires. Je suis partie en D1 pour 400 euros. Pour moi c’était des sacrifices qu’il fallait que je fasse en tant que jeune footballeuse pour toucher au plus haut niveau. Mais normalement, tu ne devrais pas avoir à faire ce genre de sacrifices. […] Tu te rends compte qu’en vérité, il peut y avoir de l’argent, mais c’est une question de gestion et d’envie. Le football féminin, c’est une question d’envie », poursuit-elle.
Une réalité bien loin des images de télévision, qui pousse « Nam » à ne pas se murer dans le silence : « Avoir une voix c’est très important, que ce soit à petite ou grande échelle, on n’a pas le droit de se taire. […] Certaines personnes, qui ont une voix qui pourrait porter, peuvent te dire: “A mon époque on n’avait pas tout ce que vous avez, donc contentez-vous-en ». Il y a des combats dans des combats, même avec des personnes qui devraient être des porte-parole pour ce combat. »
Une force de conviction qui lui vient paradoxalement du football lui-même. « Je dis souvent que le football m’a rendue femme dans mes positions, dans ce que je suis devenue, ma prise de parole, mon leadership… C’est tellement éducatif. C’est ce qui me permet aujourd’hui de parler avec assurance et estime de moi », estime-t-elle.
Génération Foot 2 rue
Bien qu’elle sillonne semaine après semaine les pelouses de D2 féminine, Namnata n’en oublie pas le bitume, où elle a fait ses armes. Alors entre deux journées de championnat, elle revient naturellement à ses premières amours, en tant que speaker dans des tournois. Mais là aussi, ce qui pourrait sembler n’être qu’un amusement, révèle une nouvelle manière de servir cette cause du football féminin qui lui est si chère.
« Le street football rassemble de manière beaucoup plus saine toutes ces jeunes filles. Dans les émotions, c’est beaucoup plus sincère, beaucoup plus vrai, beaucoup plus français. C’est d’une beauté ! Pas tant par le football, mais par l’ambiance, l’échange, l’explosion d’émotions. A chaque fois que je vois ces tournois je me dis que c’est ça le football. […] On ne s’en rend pas compte mais le monde professionnel est éprouvant. Ça manque de liberté, on ne te permet pas toujours d’être qui tu es. La street c’est la liberté, tu fais ce que tu veux. », conte cette véritable passionnée.
Une bouffée d’oxygène, dans un univers croit en parallèle le football féminin conventionnel, et qui pourrait à ses yeux apporter beaucoup à celui-ci : « A la Coupe du Monde féminine, est-ce qu’il y a eu un rattachement avec clubs d’origine les joueuses de l’équipe de France ? Pour moi, c’est pour cela que la mayonnaise n’a pas pris. Il manque cette ferveur populaire pour mettre en avant le football féminin. Ils ne veulent pas reproduire les “erreurs” qu’ils ont faites avec le football masculin, en le popularisant. Mais c’est à en perdre sa ferveur, son essence même. »
Si elle ne sait pas encore quel chemin elle empruntera après sa carrière, une chose est sûre, elle cheminera, comme toujours, jamais bien loin du football, avec sincérité et à 225%.