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2/3 Foot féminin et salaires : question de s’y mettre

Par 25/10/2019 18:50 mai 8th, 2020 No Comments
Cet article constitue la deuxième partie du dossier sur la professionnalisation du football féminin. L’article précédent est disponible plus bas sur cette page.
©photo : Inès Roy-Lewanowicz
Trois pays au monde appliquent l’égalité salariale entre leurs sélections féminines et masculines. Dans beaucoup d’autres, on en est encore loin et on se demande plutôt si les joueuses méritent un salaire, quel qu’il soit.

Une professionnalisation progressive

Pendant que les Pays-Bas, la Norvège et la Finlande appliquent l’égalité salariale entre leurs sélections féminine et masculine (à ce sujet, consultez notre article précédent 1/3), et que d’autres pays y réfléchissent, de nombreuses joueuses au monde luttent encore pour être payées pour leur performance. Dans beaucoup de pays, le football féminin est encore amateur et non rémunéré.“En plus de leurs entrainements et des matchs, beaucoup de joueuses de la sélection étudient et travaillent pour subvenir à leurs besoins. (…) Comme les entraînements ont lieu à Ezeiza, une banlieue de la capitale, le trajet empiète souvent sur leurs horaires de travail ou de déjeuner et leur coûte de l’argent et du temps.” témoignait Florencia Quiñones, ancienne joueuse et capitaine de la sélection argentine en janvier 2018, après que les joueuses albicélestes se soient mises en grève pour améliorer leurs conditions. Elle soulignait ainsi la difficulté pour les joueuses de combiner pratique non rémunérée du football à haut niveau et emploi stable.Après deux ans de combat des joueuses de la sélection, de campagnes dans les réseaux sociaux et après le scandale Macarena Sanchez (joueuse de l’UAI Urquiza à l’origine d’une vague de protestation pour la professionnalisation du football féminin en Argentine), la fédération a entendu les revendications. En mars 2019, la fédération argentine (“AFA”) a finalement officialisé la professionnalisation dans les clubs. Toute équipe participant à la Primera Division Femenina doit payer ses joueuses (au moins huit d’entre elles) et recevra une aide de 125 000 pesos (environ 2000€) par mois pour cela. Une contribution qui permet d’une part aux joueuses d’être justement rémunérées pour leur investissement et leur travail, et d’autre part de poser les prémices d’une économie du football féminin.

L’émergence d’un système

Dans le cas où la rémunération permet de subvenir aux besoins quotidiens des joueuses, ces dernières peuvent se consacrer entièrement au football, engendrant deux principales conséquences : le temps et l’énergie qu’elles économisent leur permettent d’accroître considérablement leur performance, et la rémunération récompense leur travail et leur effort. Ce deuxième argument illustre comment le sujet de la rémunération des joueuses surpasse la question de la performance et est en réalité une question de respect des droits des joueuses-salariées qui passent de statut d’amatrices à professionnelles à part entière – pouvant vivre de leur métier. La somme versée par la fédération argentine pose cependant la question de son efficacité, puisqu’elle ne permet pas de rémunérer les footballeuses de manière à ce qu’elles soient indépendantes de toute autre source de revenus. 2000€ par mois par club ne permettent pas à 8 joueuses d’en vivre, et bien que les clubs participent aussi à leur rémunération, les salaires demeurent souvent insuffisants.Dans de telles conditions, la professionnalisation du football permet effectivement de récompenser et reconnaître leur travail. Ce n’est cependant que la première étape du système mis en place en Argentine, qui ne garantit pas encore un revenu suffisant. Avec la mise en place d’une réelle économie du football féminin, dont la professionnalisation fait partie, les revenus pourront progressivement devenir stables et plus abondants.Mais pour cela, la professionnalisation doit d’abord être appliquée, ce qui doit encore être réalisée dans de nombreux pays.

Entre promesses et réalités

En Jamaïque, par exemple, la question des salaires en pose une autre, celle du respect des engagements de la fédération. Alors qu’en 2019 la sélection nationale a participé à sa première Coupe du Monde, devenant ainsi la première équipe des Caraïbes à participer à cette compétition prestigieuse, les joueuses n’ont reçu que la moitié du salaire qui leur avait été promis. Pour la première fois cette année, de nombreuses joueuses sont devenues professionnelles et devaient percevoir un salaire mensuel ainsi qu’un bonus quotidien pendant leur participation au Mondial(1). Les Reggae Girlz jamaïcaines se sont donc mises en grève en septembre, refusant de participer aux entraînements. Khadidja Shaw, une des principales stars de l’équipe, déclarait à l’Independent(2) que “Nous […] sommes devenues la première équipe féminine de football jamaïcaine à signer un contrat avec notre fédération. Ces contrats symbolisent le respect que nous méritons et entendons recevoir. Pour cette raison, mes coéquipières et moi-même ne participerons pas aux matches ou sessions d’entrainement tant que le contrat ne sera pas rempli.”La fédération jamaïcaine (JFF) se défend des allégations à son égard en prétextant ne pas avoir elle-même reçu la récompense de la FIFA pour la participation jamaïcaine au Mondial – qui devrait servir à compléter la paye des joueuses. Que la situation économique de la fédération jamaïcaine soit réellement délicate ou que cette réponse ne soit qu’une excuse pour ne pas rémunérer la sélection, le problème subsiste: les promesses financières ne sont pas tenues. Dans la première hypothèse, la responsabilité du non respect des délais serait partagée par la JFF qui aurait fait une promesse qu’elle n’était pas sûre de pouvoir tenir, et par la FIFA qui tarderait à récompenser les équipes participantes. Dans l’hypothèse où la partialité de la rémunération des Reggae Girlz serait de la mauvaise foi de la part de la fédération, ce serait une preuve d’un désintérêt économique et social plus profond.La professionnalisation du football féminin dans le monde évolue à différentes vitesses en fonction des régions et des pays du monde, mais toujours avec les mêmes défis. Son point de départ naît généralement d’une prise de conscience et de promesses, mais une fois ce premier grand combat gagné, il s’agit aussi de réellement mettre en place les nouveaux engagements de manière à ce qu’ils se pérennisent et participent au développement du marché du foot au féminin. Cependant cela reste aussi et toujours une question de moyens.

Si ce sujet vous intéresse, consultez le premier article du dossier sur les salaires des footballeuses.
Lisez aussi l’article sur la récente grève des joueuses de la ligue espagnole.

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