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Gardiennes de but (1/2) : De l’ombre à la lumière, itinéraire d’un poste en progression

Par , 15/05/2020 09:37 mai 16th, 2020 No Comments
Longtemps décriées, les gardiennes de buts ont su élever leur niveau au point d’être sous le feu des projecteurs lors du Mondial en France. Une progression qui ne doit rien au hasard. Les experts du poste nous ont décrypté l’évolution d’un poste à part.

Alors que le football féminin gagne en intérêt, il n’est pas rare d’entendre ses détracteurs se plaindre du faible niveau des gardiennes de buts. Si certaines critiques se justifiaient par le passé, la progression récente des portières est indéniable. 

Gardienne: un poste sous le feu des critiques 

Le nom même de Sarah Bouhaddi, pourtant élue meilleure gardienne du monde en 2016, est plus souvent associé publiquement à des erreurs qu’à des parades spectaculaires. De quoi s’interroger sur le bien fondé des critiques ? Pour Solène Durand, gardienne de l’En Avant de Guingamp « c’est le poste qui veut ça. L’exemple de Lloris à la dernière Coupe du Monde est parlant. On retient surtout sa boulette en finale, alors que si on gagne, c’est aussi grâce à lui ».  

Impardonnable, le rôle de dernier rempart ne laisse pas de place à l’erreur. Constance Picaud, jeune portière du Havre, qui s’apprête à connaître les joies de la D1, confirme: « Quand on fait la parade personne ne va en parler, par contre quand on fait une boulette... » Malgré l’ingratitude du poste, Méline Gérard, aujourd’hui au Real Bétis, constate les faiblesses d’antan. « Il y avait une défaillance au niveau du poste du point de vue athlétique » mais se félicite de voir que « depuis 2-3 ans, le niveau des gardiennes est nettement plus élevé. » L’internationale tricolore, Solène Durand la rejoint. « Avant, une frappe sous la barre faisait quasiment tout le temps but. Maintenant, on voit plus de claquettes. »

« Avant, une frappe sous la barre faisait quasiment tout le temps but. Maintenant, on voit plus de claquettes. » – Solène Durand

Grégory Bernard, entraîneur des gardiennes de l’Olympique de Marseille, souligne lui la responsabilité des médias. « Le problème de cette critique des médias c’est qu’elle vient souvent d’une comparaison avec les garçons et il faut qu’on arrête ça. Quoiqu’on dise elles n’ont pas la même morphologie ou le même physique et la même puissance que les garçons. Si on prend en compte tout ça, au bout d’un moment c’est juste physiquement impossible d’atteindre un ballon qui arrive à 3 mètres de vous. Ces caractéristiques physiques font qu’on a une approche totalement différente du poste de gardien. »

Michel Courel, entraîneur des gardiennes du Havre reconnaît volontiers le bien-fondé de ces critiques. « Est-ce que je pense que le point faible du football féminin ce sont les gardienne ? Oui ! » Cependant, loin de lui l’idée de faire porter la faute aux joueuses. « Je ne vais pas dire que le point faible ce sont les gardiennes, je vais dire qu’il est le point mal abordé. On ne va pas reprocher à des gardiennes d’être en dessous du niveau des joueuses de champ alors qu’on ne s’occupe pas forcément d’elles » développe-t-il. La guingampaise Solène Durand craint aussi que la mauvaise image des gardiennes dans les médias ait nui au développement du poste. En effet, les critiques répétées ne favorisent pas l’émergence de vocations à un poste, qui, même chez les garçons, reste souvent délaissé. « Il n’y a pas non plus 36000 joueuses qui veulent être gardiennes. Les médias ne parlent que des attaquants parce qu’ils mettent des buts. Donc pour donner envie aux jeunes garçons comme aux jeunes filles d’être gardien, c’est compliqué, surtout quand après les gardiennes se font détruire dans les médias ou sur les réseaux sociaux » pointe-t-elle.

La Coupe du Monde révélatrice de la progression des gardiennes

Bien que les médias aient participé à diffuser une mauvaise image des gardiennes, lors du dernier mondial, ils ont tout de même permis de mettre en lumières leurs performances, souvent cruciales. Du match du Chili contre les Etats-Unis, on retiendra certes les trois buts des Américaines mais surtout le festival de parades de Christiane Endler qui a retenu l’attention et forcé l’admiration du monde entier. Presque inconnue du grand public, au lendemain de son show face aux Etats-Unis, le nom de l’espagnole Sandra Paños était aussi sur toutes les lèvres des journalistes. 

Christiane Endler - @Ines Roy-Lewanowicz
@Ines Roy-Lewanowicz

L’entraîneur marseillais Grégory Bernard y voit la preuve d’une évolution fulgurante du poste, dont « le niveau a très rapidement augmenté ces dernières années ». Une vision partagée par la gardienne du Bétis. « Lors du Mondial, on a pu voir de grosses performances. Aujourd’hui, on a des gardiennes de qualité et il y a beaucoup plus de concurrence à ce poste – que ce soit en France ou dans les autres pays – même par rapport à deux ans auparavant ». Méline Gérard va encore plus loin pour nous faire prendre conscience de cette progression générale. « Dans certaines nations, il n’y avait pas seulement de très bonnes gardiennes numéro un, mais aussi une numéro deux et une numéro trois très intéressantes » précise-t-elle.

Les gardiennes, gagnantes de la professionnalisation ?

Si les gardiennes ont impressionné durant le Mondial, c’est aussi grâce à l’adversité à laquelle elles ont dû faire face. « Le niveau des joueuses a aussi évolué ce qui a permis aux gardiennes d’en faire tout autant » affirme la gardienne passée par Saint-Étienne, Lyon ou Montpellier. Solène Durand se félicite de l’élévation général du niveau de jeu : « Au niveau des entraînements, les joueuses nous mettent peut-être plus en difficulté que par le passé donc on progresse avec elles aussi » explique t-elle. 

« Si le poste est nettement moins critiqué et a pris une autre envergure, cela est dû notamment aux moyens plus importants et au plus grand professionnalisme dans le football féminin. » – Méline Gérard 

Les prouesses récentes des portières résultent aussi des efforts consentis par les clubs pour professionnaliser le poste. Grégory Bernard estime que « tout ce qui est mis en place en France pour les gardiennes a porté ses fruits ». L’ancienne du MHSC, Méline Gérard, lui emboîte le pas « si le poste est nettement moins critiqué et a pris une autre envergure, cela est dû notamment aux moyens plus importants et au plus grand professionnalisme dans le football féminin. » 

Ces nouveaux moyens alloués par les clubs et la Fédération ont permis aux gardiennes de disposer d’une meilleure préparation, comme l’explique la gardienne de Guingamp, Solène Durand : « En D1, il y a eu une grosse évolution au niveau de l’infrastructure et de l’encadrement. Avant, on n’avait pas forcément un entraîneur gardien attitré et il était avec nous deux séances par semaine. Pour les matchs et les autres séances, on devait se débrouiller. Maintenant, on en a un qui fait toutes les séances. » 

La prise de conscience des clubs du rôle des gardiennes 

Offrir un vrai accompagnement à leurs gardiennes est un choix de plus en plus naturel pour les clubs, comme le confirme Grégory Bernard : « Au niveau des moyens chez nous à l’OM on peut maintenant mettre deux entraîneurs spécifiquement pour les gardiennes. » Toutefois, ce sont avant tout les objectifs de performances et les ambitions de victoires des clubs qui les ont décidé à investir dans leurs gardiennes. « Je pense que les clubs ont pris conscience qu’une gardienne ça pouvait faire gagner des matchs et qu’il fallait donc mieux les former », note Constance Picaud. 

« Je pense que les clubs ont pris conscience qu’une gardienne pouvait faire gagner des matchs et qu’il fallait donc mieux les former » – Constance Picaud.

La bleue Solène Durand en fait même une condition sine qua non pour pouvoir jouer à un très haut niveau. « Pour arriver dans l’élite, les clubs ont besoin d’une grande gardienne. C’est un rôle important donc les clubs font en sorte de faire progresser ce poste. Avec une bonne gardienne et une bonne attaquante, tu as des chances de gagner le match » affirme la Guingampaise. 

Le poste de gardienne semble ainsi peu à peu gagner ses lettres de noblesse et bénéficie des progrès de l’ensemble de la discipline. Avec un accompagnement plus ciblé et de meilleure qualité, les club de D1 ont aussi progressivement su s’adapter pour offrir à leurs gardiennes les conditions nécessaires à leur progression. 

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