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Gardiennes de but (2/2) : les axes d’une progression à pérenniser

Grégory Bernard - Entraîneur gardiennes - OM
©Olympique de Marseille
 Si la progression des gardiennes de ces dernières années est évidente, les efforts consentis par les clubs et la Fédération doivent encore se poursuivre. Les experts partagent quelques axes de travail pour un véritable essor des portières.

Malgré les efforts visibles des clubs pour assurer une meilleure formation de leurs gardiennes (c-f épisode 1), il existe encore, en France, une forte marge de progression dans la manière d’approcher ce poste.

Une formation spécifique pour les gardiennes ?

Au-delà des moyens, le nouveau défi des clubs est « de faire preuve de professionnalisme dans la formation des gardiennes, que ce soit sur ou en dehors du terrain » estime Constance Picaud, gardienne du Havre. Comme l’indique Solène Durand, portière de Guingamp, les entraînements doivent être taillés sur mesure afin « d’apporter de la diversité dans les séances  ».

Arrivé chez les féminines de Marseille en début de saison dernière, Grégory Bernard souhaite que chaque club prenne un temps pour « se poser les bonnes questions et bien définir le profil et le rôle de la gardienne, de ce qu’elle peut faire ou pas faire physiquement parlant. Seulement après on pourra savoir comment les faire travailler de manière adaptée ». Fort de son expérience chez les masculins, le technicien marseillais revendique d’ailleurs une approche différenciée : « Chez les garçons j’étais plus sur un travail sur les interventions dans le but et la technique alors que chez les filles je suis passé à une approche plus tactique pour travailler à empêcher que la frappe arrive. Ça passe par des notions tactiques, de la communication, leur placement dans la surface, des séances vidéo ».

« Un gardien c’est un joueur de champ spécialisé, donc il faut 3-4 ans de cursus général sur le champ et ensuite une spécialisation dans les buts » – Michel Courel 

Michel Courel, entraîneur spécifique gardiens au Havre, s’y oppose et préfère « ne pas cloisonner filles/garçons jusqu’au moment où la différence athlétique devient trop importante ». Christophe Revel, ancien entraîneur des gardiens de Rennes, admet que « la préparation physique ne peut être identique, avec les différences physiologiques » mais refuse toute formation différenciée. Il s’en explique : « Pour moi la formation, c’est l’apprentissage des gestes techniques qui sont les mêmes pour tous. Sur une prise de balle la position des mains est la même, sur une intervention latérale, celle des coudes, des hanches, pareil ».

Une formation à revoir dès le plus jeune âge

L’ancien coach de Benoît Costil,  qui a créé une académie mixte, la “Roazhon Goal Academy”, voit même dans la mixité un facteur de progression. « Le plus longtemps possible, il faut essayer de garder de la mixité. Les garçons finissent généralement par frapper plus fort, donc si la gardienne est habituée à être mise en difficulté par des garçons, elle aura plus de facilités avec les filles » précise-t-il

« Avant, les gardiennes on ne leur donnait un entraîneur spécifique gardien qu’à l’adolescence entre 15 et 18 ans » – Constance Picaud

Selon Michel Courel, l’ensemble de la formation doit être revu dès le plus jeune âge:  « Un gardien c’est un joueur de champ spécialisé, donc il faut 3-4 ans de cursus général sur le champ et ensuite une spécialisation dans les buts si elles aiment ce poste ». Pour sa gardienne au Havre, la clef pour maintenir la progression du poste est justement de « commencer la formation très jeune, parce qu’avant, les gardiennes on ne leur donnait un entraîneur spécifique gardien qu’à l’adolescence entre 15 et 18 ans ».

Le technicien havrais, formateur de Steve Mandanda, juge même la formation des gardiennes rétrograde. « La formation des gardiennes est un peu en retrait. Je vais donner un constat qui peut faire sourire mais on peut remarquer que la plupart des gamines que l’on met dans les buts c’est des petites « boulottes ». Ça c’était vrai il y a 50 ans chez les garçons ». Revoir la formation permettrait selon lui d’enfin considérer les portières comme des « athlètes » et surtout favoriserait l’émergence de vocation. « Si on procède avec un cursus général puis une spécialisation, les gamines vont aimer le poste parce que ce sera plus la petite boulotte qu’on a mis la et à qui on dit « c’est de ta faute » dès qu’elle prend un but ».

Un manque de compétences dans l’accompagnement ?

Outre la formation, Constance Picaud déplore les différences d’accompagnement selon les clubs. « Dans les clubs professionnels, l’accompagnement est structuré. Après, dans les clubs dits amateurs, comme en D2, on fait comme on peut, si il y a un entraîneur spécifique tant mieux sinon tant pis ». Son entraîneur au Havre confirme : « La D2 c’est un monde plus amateur donc il est plus difficile d’amener un suivi. Je n’ai pas vu d’entraîneurs de gardiennes à tous les matchs ». Reconnaissante des conseils reçus, la portière craint toutefois que ce manque de professionnalisation freine la progression des gardiennes. « Comme moi, les spécifiques étaient amateurs, en complément de leur travail ou en bénévolat. Ils essayaient de nous accompagner du mieux qu’ils pouvaient et je les en remercie, mais pour évoluer au plus haut niveau ça ne suffit pas » explique-t-elle.

« En termes de règles et de normes, en D1 et en dessous, l’entraîneur des gardiens n’est pas obligé d’avoir un diplôme particulier » – Méline Gérard

Méline Gérard

Méline Gérard, passée notamment par l’OL ou Montpellier, pointe du doigt l’absence d’exigence de diplôme au plus haut niveau. « Je trouve ça dommage que l’on oblige pas un minimum de compétences comme chez les garçons et je ne serai pas contre que l’on oblige les entraîneurs de gardiens en D1 à passer le CEGB (ndlr: Certificat d’Entraîneur de Gardien de But) » se lamente-t-elle. Christophe Revel qui a « entraîné 10 ans, même en L1, sans le diplôme » s’interroge : « Si on met un cahier des charges pour le CEGB, il faut aussi que les clubs s’engagent à donner des salaires correspondant à la grille salariale imposée et en ont-ils tous les moyens ? ». D’ailleurs pour Michel Courel « ce n’est pas une question de compétence mais plutôt d’intérêt que l’on porte à la formation des gardiennes ».

Pour la gardienne du Bétis, le constat est clair « il n’y a clairement pas de moyens mis en place pour améliorer le poste ». Remontée contre les différences de traitement, elle s’indigne : « En termes de règles et de normes, en D1 et en dessous, l’entraîneur des gardiens n’est pas obligé d’avoir un diplôme particulier, alors que les entraîneurs pour les joueuses ont besoin au minimum du D.E.S (ndlr: Diplôme d’Etat Supérieur de football) et bientôt le CEFF (ndlr : le Certificat d’Entraîneur de Football Féminin, diplôme obligatoire pour entraîner en D1 à compter de la saison 2021-2022) ».

L’étranger comme source d’inspiration ?

Malgré une nette progression, le chemin semble encore long pour professionnaliser véritablement le poste en France. Le technicien marseillais, Grégory Bernard, suggère indirectement de regarder ce qui se fait hors de l’Hexagone. Il explique que la progression du poste en D1 doit beaucoup à « l’apport des étrangères qui, je pense, sont en avance sur nous dans la formation de l’athlète féminine plus largement, donc dans la formation des gardiennes aussi ». Son homologue havrais partage ce constat : « la gardienne américaine et la gardienne des Pays-Bas ont aussi ce gabarit, cette expérience, cette maturité tactique qu’on ne retrouve pas forcément chez les jeunes gardiennes de but en France ».

L’été dernier, Méline Gérard a justement quitté la France pour l’Espagne, pays dont la gardienne, Sandra Paños, avait brillé lors du Mondial. Elle ne regrette absolument pas son choix. « J’ai été bluffée par les entraîneurs de gardiens que j’ai eus au Bétis cette année, deux entraîneurs vraiment très, très compétents ». Outre la compétence de ses entraîneurs, la gardienne apprécie surtout l’accompagnement que ces derniers lui offrent. « Le suivi est complètement différent, beaucoup plus approfondi, notamment dans le domaine tactique et la gestion humaine » affirme celle qui salue les efforts de ses coachs pour «s’adapter aux émotions de la gardienne, l’accompagner lors des matchs et essayer de comprendre la personnalité en face d’eux ».

« 30 minutes de vidéos remplacent facilement 2 heures de spécifiques » – Christophe Revel

Un suivi plus humain et plus poussé par rapport à ce qu’elle a pu connaître, qui suggère une avance de certains championnats étrangers sur la D1. Cette différence de suivi s’expliquerait par une utilisation différente de la vidéo. « On utilise beaucoup plus la vidéo qu’en France. On a un retour vidéo de tous nos matchs avec l’entraîneur des gardiens et parfois de nos entraînements, tous filmés » détaille Méline Gérard. Le désormais membre du staff de la sélection Marocaine, Christophe Revel, s’en étonne car « 30 minutes de vidéos remplacent facilement 2 heures de spécifiques ». L’ex-portier nuance le prétendu retard français « la vidéo c’est l’outil obligatoire, en pro tous les entraîneurs spécifique l’utilisent ». 

Quoiqu’il en soit, à l’heure où la pratique féminine se développe partout dans le monde, les clubs français seraient inspirés de poursuivre leurs efforts pour maintenir la trajectoire de progression de leurs gardiennes. 

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