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Homosexualité et football féminin : enfin la fin d’un tabou en France ?

La prise de parole de la gardienne des Bleues ouvre enfin la question de l’homosexualité dans le football féminin français. Évoqué ouvertement dans certains pays, dans l’Hexagone le sujet demeure un véritable tabou… Qu’il est pourtant essentiel de briser.

Dans un entretien accordé le 21 octobre à l’Équipière , la gardienne de l’équipe de France, Pauline Peyraud-Magnin, s’est pour la première fois exprimée sur son homosexualité. Depuis quelques mois, elle n’hésite pas à s’afficher avec sa compagne sur ses réseaux sociaux. Un geste qui peut paraître anodin mais qui marque une grande avancée dans le milieu du football féminin français. En effet, aujourd’hui, la portière des Bleues est l’unique joueuse française actuellement en activité à être « out », une statistique qui pose question. Avant elle, seule Marinette Pichon, ancienne capitaine des Bleues, avait dévoilé son homosexualité dans les années 2000.

Pourtant il est devenu courant dans le football féminin mondial de voir des joueuses déroger au modèle dominant de l’hétérosexualité. Certaines comme la Ballon d’or 2019, Megan Rapinoe, ses coéquipières en sélection, Ashlyn Harris et Ali Krieger, ou encore Magdalena Eriksson et Pernille Harder, désormais partenaires à Chelsea, ont même été érigées au rang d’icônes de la cause LGBTQ+. Alors pourquoi à l’étranger des footballeuses affirment ouvertement s’épanouir dans des formes de sexualité autres l’hétérosexualité, quand en France, le silence est de mise ? Voici quelques éléments de réponse.

Des différences culturelles

Transférée d’Arsenal à l’Atlético Madrid cet été,  Pauline Peyraud-Magnin a eu l’occasion de voyager et de se familiariser à différentes cultures lors des trois dernières années. Elle confirme l’apport son expérience à l’internationale , en admettant s’être sentie plus à l’aise à l’étranger pour s’afficher sur les réseaux sociaux avec sa compagne. « Ce n’était pas évident de le faire avant en France. En arrivant en Angleterre et même en Espagne, je me suis rendue compte que c’est normal en fait. Là-bas je me suis vraiment épanouie. En Angleterre, on ne critique pas la personne. Dans la rue, il n’y a pas un regard de bas en haut. » Le développement récent de ces championnats, qui attirent de plus en plus de footballeuses françaises dans leur rangs, est donc une nouvelle réjouissante si les joueuses peuvent y trouver là-bas un environnement sain. 

Pour Christine Mennesson, sociologue spécialiste de la construction du genre dans le monde sportif, les différences culturelles sur la question de l’égalité des sexes jouent également un rôle important. Elle évoque notamment l’avance des pays nordiques : « Il y a une tradition politique d’égalité entre les sexes beaucoup plus ancienne que chez nous dans tous les domaines du social et elle a aussi impacté le football. » Ces différences, la défenseure de Dijon, Genessee Daughetee, « out » depuis ses 18 ans, l’a vécu au quotidien lorsqu’elle évoluait dans le club de Vittsjo il y a deux ans. « C’est en Suède que je me suis sentie le plus à l’aise. Je me souviens que j’ai été choquée de voir qu’il y avait des drapeaux arc-en-ciel sur les piquets de corner. Les capitaines portaient également des brassards arc-en-ciel. Et puis beaucoup de filles parlaient d’aller faire un tour au festival des fiertés à Stockholm. C’était vraiment vraiment cool à voir. » Pour briser ce tabou sur la sexualité, l’Américaine de 28 ans insiste sur les efforts à fournir par les clubs et les fédérations pour mettre sur un pied d’égalité les joueuses LGBT+.

La féminisation du football, un phénomène récent en France 

De ce point de vue, la fédération américaine a récemment mis les bouchées doubles. Chaque année, en juin lors du mois des fiertés, les maillots des joueuses revêtent les couleurs arc-en-ciel sur le flocage et le numéro. Pour Marine Rome, ancienne co-présidente de l’association les Dégommeuses , de retour sur les bancs de l’université dans le master ÉGAL’APS à Lyon, les dirigeants sont sur la bonne voie. « Ils ont bien compris que valoriser tous les profils et toutes les identités était extrêmement bénéfique. Ça veut dire que tout le monde s’y retrouve. Ils valorisent une Megan Rapinoe, comme une Alex Morgan, qui sont, en termes de personnalité et de ce qu’elles dégagent, absolument différentes. Le message c’est qu’il y a de la place pour tout le monde.» Les Etats-Unis démontrent ainsi une nouvelle fois leur statut de pays pionniers en matière de développement du football féminin.

Alors la France serait-elle donc intrinsèquement moins tolérante ? Pour Christine Mennesson la différence est structurelle. « Je ne pense pas qu’il y ait du retard en matière d’acceptation de l’homosexualité dans les équipes. Je pense surtout qu’il y a un retard en termes de développement du football féminin. Et les deux sont liés. Tout cela s’explique en partie par la position du football dans l’espace des pratiques sportives françaises. Chez nous, le football est quand même le sport associé par excellence au masculin, ce qui n’est pas le cas aux Etats-Unis », souligne-t-elle.

En effet, le ballon rond constitue en France un « fief de la virilité » comme aiment à le dire Norbert Elias et Elias Dunning. L’histoire du football féminin a donc longtemps été marquée par le rejet, la stigmatisation ou encore la marginalisation. Ce n’est qu’en 2011 que s’opère un tournant, avec le premier plan de féminisation lancé par la Fédération française de football.

Mais là encore, cette stratégie prend une direction bien précise, résumée ainsi par Annie Fortems, ancienne joueuse internationale. « La FFF […] a investi sur la « féminisation des joueuses » après avoir fait l’analyse que ‘depuis sa création, le football féminin ne s’est pas développé car les joueuses ne seraient pas assez féminines !’» De ce constat, une campagne de communication qu’elle qualifie de «calamiteuse » a vu le jour : « affiches de Bleues posant nues, mannequin glamour comme marraine, ateliers de féminisation, interview des joueuses et reportages exhibant leur féminité et leur hétérosexualité… avec un glissement inédit vers un sexisme doublé d’homophobie (lesbophobie). »

« Il s’agit en quelque sorte de rassurer beaucoup de monde : oui, elles font du foot, mais elles restent de ‘vraies’ femmes malgré tout. » Catherine Louveau

Suivant cette mouvance, en 2010, la FFF avait en effet choisi Adriana Karembeu, mannequin correspondant parfaitement aux canons de la féminité selon la société, pour être l’ambassadrice du football féminin. Barbara Ravel et Marc Gareau, deux sociologues qui ont travaillé sur cette campagne de promotion, expliquent que ce choix constitue une volonté délibérée de la FFF de mettre l’accent sur la féminité « appropriée ». Discréditant au passage les joueuses actuelles ou anciennes de l’Équipe de France, à qui ce rôle d’ambassadrice aurait pu être confié. 

Catherine Louveau, sociologue du sport, confiait à l’occasion de la Coupe du monde 2019 que cette entreprise de féminisation « a pour objectif de rendre cette pratique sportive plus attractive aux yeux des médias, du public et des sponsors. Instances et fédérations sportives veulent que les joueuses correspondent aux canons de beauté associés à la féminité. Il s’agit en quelque sorte de rassurer beaucoup de monde : oui, elles font du foot, mais elles restent de ‘vraies’ femmes malgré tout. » Une manière de lutter contre le stéréotype du « garçon manqué» collant à la peau des footballeuses, pour attirer le public. Dans cette même logique, l’homosexualité est invisibilisée, la figure de la lesbienne étant dans l’imaginaire collectif associée à des formes de masculinité. 

Montrer la voie

Le geste de Pauline Peyraud-Magnin est donc inédit et pourrait être le point de départ d’une plus grande ouverture sur le sujet. Sans autre exemple français récent, difficile pour les joueuses de savoir à quoi s’attendre après une « révélation » de la sorte. Même si elle trouve étrange que ce sujet soit si tabou en France, l’américaine Genessee Daughetee, comprend tout de même que « personne ne veuille se risquer à être la première [à faire son coming out] car les conséquences sur leur carrière et les réponses qui peuvent en découler sont incertaines. Il faut un grand courage pour se mettre sous le feu des projecteurs comme ça. Mais je pense qui si une personne ose, d’autres suivront. » En tant que pionnière, les conséquences du coming out public de Pauline Peyraud-Magnin sont donc observées de près par nombreuses de ses collègues footballeuses. La gardienne de l’équipe de France reconnaît bien volontiers la peur « des représailles » ou « de recevoir des messages négatifs », qui a pu la faire douter et qui peut toujours grandement faire hésiter les joueuses à passer le pas. Pour Marine Rome, au-delà du football, les exemples positifs de coming out publics de sportives font cruellement défaut à la France. « Je pense que des générations entières sont traumatisées par le traitement qui a été réservé à Amélie Mauresmo. Elle l’a fait [son coming out] à un moment où personne ne l’avait fait, elle l’a fait très jeune, avec beaucoup de courage et le coût social de l’avoir fait. La lesbophobie terrible qu’elle a dû subir, je pense que ça a pu refroidir beaucoup de personnes » analyse-t-elle. 

Cependant, la confiance et l’expérience positive -donc rassurante- de Pauline Peyraud-Magnin, pourrait inviter d’autres joueuses françaises à sortir du placard. « Concernant ma carrière, ça n’a pas d’impact. Je ne me suis jamais cachée. Si on vient me poser la question je répondrai honnêtement. Je m’assume entièrement. Concernant le sponsoring, je n’ai pas peur non plus. Si ça ne se fait pas avec tel sponsor, moi je ne vais pas me prendre la tête avec eux. Cela s’appelle de la discrimination, c’est puni. Cela ne les concerne pas. Mon homosexualité n’interfère dans rien, que je sois footballeuse, que j’aie des amis, que j’aime aller au cinéma etc. »

L’importance des rôles modèles 

Au-delà de l’importance de ce type d’exemples pour les autres joueuses, Pauline Peyraud-Magnin est peut-être inconsciemment devenue un rôle modèle pour de nombreuses personnes.  Cet aspect de son geste, elle ne l’avait pas anticipé : « Au début, quand j’ai posté ces photos, je le faisais pour moi. J’ai juste fait quelque chose d’anodin et je ne me rendais pas compte de l’impact, du nombre de personnes que je pouvais toucher. » Pourtant, en s’assumant publiquement, la gardienne des Bleues permet à de nombreuses personnes qui ne se sentaient jusqu’alors pas représentées au sein de cette équipe, de s’identifier à elle et de développer leur sentiment d’appartenance à cette équipe de France. Puisant dans son expérience personnelle, la défenseure américaine de Dijon Genessee Daughetee indique également que l’impact de cette visibilité LGBT+ est extrêmement puissant. « En grandissant je n’avais aucun modèle LGBT+. C’est vraiment triste et c’est en partie pourquoi je suis si visible et ouverte maintenant. Les personnes LGBT+ existent dans tous les sports et c’est un fait. Peut-être que si j’avais eu quelqu’un à qui m’identifier, à admirer, qui m’avait montré que ta sexualité ne fait pas de toi un meilleur ou un plus mauvais athlète et ne te définit pas en tant que personne, alors peut-être que je n’aurais pas eu autant de difficultés à l’adolescence. »

« En grandissant je n’avais aucun modèle LGBT+. C’est vraiment triste et c’est en partie pourquoi je suis si visible et ouverte maintenant. » Genessee Daughetee

Sortir du placard… et des vestiaires

L’enjeu de ce débat n’est pas tant de révéler au grand jour la vie privée des joueuses que de mettre en lumière une situation actuellement passée sous silence. « Je peux dire sans me tromper que dans chaque équipe dans lesquelles j’ai joué, peu importe le pays ou s’il s’agissait d’équipes semi-pro ou totalement professionnelles, il y avait toujours des joueuses LGBT+. Et la grande majorité des filles dans les équipes n’ont aucun problème à avoir des coéquipières LGBT+. » affirme Genessee Daughetee. Ainsi, entre joueuses, pas de secret autour de la question. Mais la difficulté est justement de s’assumer en dehors de ce huis-clos ou « safe space » que semblent être les vestiaires. D’après son expérience dans un des premiers clubs – de niveau D2, Marine Rome explique qu’au « sein de l’équipe c’était commun, tout le monde le savait, et il y avait des couples, mais dès qu’on sortait du vestiaire, il ne fallait pas trop en parler. C’était vraiment la notion de « intra–vestiaires” ». Ce phénomène semble se retrouver au plus haut niveau du football français. Il y a peu encore, l’ancienne internationale française Élodie Thomis, expliquait même que « Pendant quelque temps, certaines joueuses disaient même « il, il, il » en parlant pourtant de leur copine » quand il s’agissait de s’adresser aux médias.

« Je souhaite en parler pour ne plus en parler. » Pauline Peyraud-Magnin

Pour Pauline Peyraud-Magnin, s’afficher avec sa petite amie aux yeux du public est un moyen de normaliser cette image et de faire de l’homosexualité un « non-sujet ». « Je souhaite en parler pour ne plus en parler. C’est ce que j’aimerais pour la France : qu’on ne se pose plus cette question. Aujourd’hui je prends la parole pour dire qu’on est des gens normaux. L’homosexualité ne détermine en aucun cas qui on est, si on est drôle, déterminé, ou autre chose » Prête à assumer son nouveau « statut » de rôle modèle, la gardienne estime que « si [elle] peut participer à ce que l’homosexualité soit vue sous un autre angle, [elle] aura fait [sa] part du travail. » Un avis que partage Genessee Daughetee et qui l’a poussée, elle aussi, à s’assumer sur les réseaux sociaux. Sa raison était qu’elle « ne voulait plus vivre dans la peur et [qu’elle] avait le droit de montrer la personne [qu’elle] aime sur les réseaux, tout comme une personne hétérosexuelle le ferait. » L’américaine explique ainsi : « Au fur et à mesure que je suis devenue confiante et que je me suis acceptée, j’ai réalisé que ce n’était pas assez de simplement ne pas en parler ou de prétendre que ça n’était pas là. Être LGBT+ est une part de moi et si on veut que le monde accepte davantage la communauté LGBT+, alors on doit la normaliser. »

Sans devenir aussi revendicatrices ou militantes qu’une Megan Rapinoe qui clame haut et fort qu’il « est impossible de gagner de compétition sans gays dans son équipe ! » Pauline Peyraud-Magnin et Genessee Daughetee participent comme bien d’autres à changer le regard du monde du football et plus largement de la société sur l’homosexualité. En s’exposant avec leurs compagnes et en ne cachant pas cette part d’elle-même, elles inspirent coéquipières et supporters.

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