Les joueuses de DBALOC à l’entraînement – ©L’Equipière
Du football au basket féminin, il n’y a qu’un pas. Au Sénégal, où les footballeuses peinent à se faire une place, les basketteuses ont, malgré les préjugés persistants, un temps d’avance. Dans la capitale, où la concurrence fait rage, les joueuses de DBALOC (Derklé Basket Loisir Club) commencent à bousculer la hiérarchie.
Une saison hors normes
Samedi 13 août, 07h30. Alors que la ville Dakar s’éveille lentement en pleine saison des pluies, les premiers bruits de ballon se font entendre au cœur de la ville. A Dieuppeul-Derklé, une des 19 communes de la capitale sénégalaise, les joueuses de DBALOC (Derklé Basket Loisir Club) sont déjà à l’œuvre. Pas de temps à perdre pour cette équipe alors encore en lice pour le championnat, la Coupe nationale et la Coupe du Maire.
Sous la houlette de Libasse Faye, intronisé en début de saison à la tête de l’équipe, ces basketteuses ne ménagent pas leurs efforts pour rafler tous les titres. Si DBALOC n’a finalement remporté aucune de ces compétitions, le club peut se targuer d’avoir atteint à chaque fois, au moins le stade des demies-finale. Un succès que personne n’aurait pu présager lors de la création de la section féminine, douze ans plut tôt.
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De bonnes volontés
Amadou Makhtar Diagne, président du club, n’est pas peu fier de cette belle réussite. A la tête du club depuis 2007, ce médecin de formation a vu son équipe féminine gravir les échelons depuis sa création en 2010, soit treize années après celle du club. « On voyait des filles, au même titre que les garçons, venir s’entraîner sur le terrain. Il y avait de l’intérêt. Il fallait leur permettre de s’adonner à leur passion », explique-t-il.
Douze ans après, le bilan est plus que positif. Après avoir accédé à la première division en 2016, les joueuses de DBALOC ont systématiquement disputé les play-offs depuis 2019. Le fruit d’un long travail basé sur la formation, mais surtout sur l’accompagnement des joueuses sur le plan extra-sportif. « On mène une politique sociale. On aide les jeunes à réussir dans la vie. On les encadre dans leurs études. Nous sommes aussi en partenariat avec l’Institut Privé de Gestion (IPG), et tous nous joueurs et joueuses peuvent bénéficier d’une bourse pour cette école. Ils peuvent aller jusqu’au Master. Chaque année on dresse un bilan avec les écoles sur leurs résultats », poursuit le président, qui assiste dès qu’il le peut aux entraînements de sa section féminine.
Un accompagnement à tous les niveaux qui fait la spécificité du club. « DBALOC c’est une vraie famille, on accueille tout le monde à bras ouvert. Le président et les autres dirigeants sont jeunes et ouverts. On ne retrouve pas ça dans les autres équipes. Les joueuses se soutiennent mutuellement dans les études. Ils insistent beaucoup sur la personnalité de la joueuses et ils nous soutiennent sur tous les plans », indique Angèle Gomis, 27 ans, capitaine de DBALOC qui voit passer saisons après saisons de nombreuses internationales venues des 4 coins de l’Afrique.
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Les bons ingrédients
Dans la recette qui a fait son succès, DBALOC a ajouté un précieux ingrédient cette saison. Arrivé cette année après quinze saisons à entraîner l’équipe masculine de Ouakam, l’élancé Libasse Faye a rejoint les rangs de Derklé. « Au bout de 15 ans, on commence à s’ennuyer. J’avais besoin d’un autre challenge », justifie-t-il.
Si aucun objectif n’était clairement déterminé en début d’année, les résultats ont dépassé les espérances. « Je disais au dirigeants que cette année allait être un test, qu’on allait faire avec ce que l’on avait. Si on m’amène des provisions pour faire du thieboudienne (ndlr, plat national du Sénégal), je vais faire un bon thieboudienne, si on m’amène des provisions pour faire du soupoukandja, je vais faire un bon soupoukandja. L’appétit vient en mangeant (Rires). »
Et cette saison, DBALOC a tout croqué, faisant même jeu égal avec les mastodontes du championnat comme le Dakar Université Club (DUC). Le résultat d’une exigence continuelle, que le coach s’impose d’abord à lui-même. « Presque chaque soir, je regarde un match de basket, mais pas pour le spectacle, pour le jeu ! Souvent je prends des références de matchs pour les expliquer à mes joueuses. On ne peut pas laisser un joueur avec ses erreurs. Quand je vois une joueuse qui fait quelque chose qui ne rime pas avec le basket, je l’arrête systématiquement, même si on me le reproche parfois. Même quand je crie, je reste lucide. On ne peut pas coacher une équipe sans être lucide », explique ce géant de presque deux mètres.
Une détermination héritée de son propre entraîneur, qui l’a pris sous son aile à ses débuts tardifs à 21 ans en tant que joueur. « J’avais un entraîneur très passionné, l’un des plus grands formateurs du pays. Il a dirigé l’équipe nationale masculine pendant presque 10 ans. Les gens me disent parfois que j’ai tout pris de lui, même la manière de parler. Malgré mon démarrage tardif, je travaillais avec lui toute l’année, même pendant les vacances. Rapidement j’ai progressé. J’étais en perpétuelle formation. Je ne contentais pas d’apprendre mon rôle de pivot, j’écoutais les conseils qu’il donnait aux ailiers, aux meneurs. C’est là que j’ai développé mon Q.I Basket.»
Un mentor dont le technicien reproduit les méthodes, qui ont mené son équipe vers les sommets.
Aller de l’avant
Aux entraînements, nombreux sont les amateurs de baskets, ou simples supporters du dimanche à venir observer les joueuses de DBALOC. Car au pays de la Téranga, le basket féminin jouit d’une belle cote de popularité, bien supérieure à celle du football. « Beaucoup pensent que le basket est plus adapté pour les femmes. Le football féminin n’est pas très approuvé. On a tendance à voir des hommes qui jouent et pas des femmes. Le basket féminin a débuté bien avant le football féminin (ndlr, l’équipe féminin du Sénégal a remporté 11 fois l’AfroBasket). Ici on ne connait pas trop le football féminin, mais ça va venir. Cette année les Lionnes ont montré que l’on pouvait croire au football féminin », explique Angèle Gomis.
Malgré leur relative popularité, les basketteuses n’échappent pas non plus à certains préjugés, qui ont la vie dure. « Nous avons nos réalités en Afrique. Tu peux croiser des vieilles personnes qui t’interpellent et te disent : « Qu’est-ce que c’est que cet accoutrement. Tu ressembles à un homme ». Si on arrête ses préjugés et qu’on nous fait confiance, le sport féminin va forcément se développer. En dehors du football, ce sont les femmes qui ramènent des trophées au Sénégal », harangue-t-elle.
Un constat partagé par sa coéquipière Fatoumata Traoré, internationale malienne, qui figure parmi les meilleures marqueuses de la saison. « Chacun fait ses choix. Il ne faut pas écouter ce que les gens disent, il faut seulement travailler. Ces mêmes gens viendront te féliciter, quand tu atteindras un niveau auquel ils n’auraient pas pensé te voir. Je suis mariée et je joue, ça ne change rien. Même si ce n’était pas du sport, et que c’était un autre métier, les gens parleraient. »