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« Il faut gérer un club de football comme une entreprise » – Sarah Boudaoud

Par 02/10/2019 16:30 novembre 4th, 2020 No Comments
Sarah Boudaoud
Latérale droite polyvalente du FF Issy (D2 – Groupe A), étudiante en master à Sciences Po et assistante parlementaire, Sarah Boudaoud mène de front, et avec brio, sa vie d’athlète de haut niveau et sa vie professionnelle. Rencontre avec une joueuse pas comme les autres.

~Pour en savoir plus sur Sarah, consultez sa fiche technique ici.~

Bonjour Sarah, depuis plusieurs années déjà tu étudies à Sciences Po, pourquoi avoir choisi de rejoindre cette école ?

Quand j’ai appris mon admission à Sciences Po, une question j’avais le choix : soit j’étais dans la dynamique de viser plus haut, en restant à l’Olympique Lyonnais (en sachant qu’il me restait une année en U19 avant de prétendre m’entraîner avec le groupe de D1), soit je montais directement à Paris.
Le choix s’est fait très naturellement, par la filiation surement : mes parents sont professeurs et m’ont toujours poussée à ce que je prépare mon avenir très tôt. Ils avaient une vision à long-terme d’une carrière de fonctionnaire avec un bac S (ce que j’ai fait), une classe préparatoire et une orientation d’enseignant. Sciences Po me permettait au moins de faire une grande école, même si je ne savais pas ce que je ferais après.

Ce choix a-t-il été un frein pour ta carrière de joueuse ?

Oui et non. Effectivement, des joueuses de ma génération comme Delphine (Cascarino – ndlr.), ont pu percer et jouer avec le groupe. Mais, par exemple, d’autres joueuses n’ont pas été conservées par l’OL, et ont dû se relancer en D2 ou ailleurs. C’était la période où Lyon commençait à avoir beaucoup d’argent et à recruter à l’international. Il y avait des têtes d’affiches, et une, deux joueuses tout au plus issues de la formation. Aujourd’hui, il ne reste que Delphine de cette génération.
En plus, venir à Paris m’a permis de jouer en D1. Quand je suis arrivée, le FF Issy venait de remonter en D1, mais avec peu de financement, et restait dans une structure amateure, avec les entraînements le soir. Cela permettait aux filles de continuer à travailler ou étudier. J’avais mes cours la journée, le foot le soir, c’était un bon compromis.

D’où te vient cette passion pour le football ?

J’ai du mal à cerner l’origine, car c’est venu assez naturellement. J’ai fait énormément de sport très jeune, du judo, de la natation, de l’athlétisme, du football et du basket. Finalement, je n’ai gardé que le football et l’athlétisme à mon entrée à l’OL. Au bout d’un an, j’ai décidé de me consacrer au football.

Quelles sont tes principales qualités sur un terrain ?

On dit souvent que j’ai un bon cardio, je cours beaucoup et j’adore ça. J’évolue au poste de latérale droite dans un 3-5-2 ou 4-4-2 losange, qui fait que j’ai une activité devant. Techniquement, je trouve que je suis très propre (rires). Je ne suis pas du genre à faire trois crochets et des roulettes, je fais plutôt deux touches maximum, contrôle, passe nette. Je me place bien aussi.

Et tes défauts ?

Mon jeu de tête, mais ça ne me gêne pas trop.

Quels sont tes projets à court terme ?

Mes études se terminent en juin prochain et, déjà, le fait d’être diplômée va m’enlever un poids. Je pourrais me consacrer un peu plus au football. Après, tout dépend de si je reste sur Paris ou si je vais à l’étranger. Les institutions sportives pourraient m’intéresser, les fédérations, le ministère, le CNOSF ou l’organisation d’événements importants, comme la Coupe du Monde.

 

“Le jeu est différent aux Etats-Unis, plus physique, plus vertical. Le cadre de vie aussi est génial au niveau des infrastructures et de l’accompagnement de la joueuse.”

 

Tu parlais de l’étranger, tu as étudié et joué aux Etats-Unis pendant une année, est-ce qu’un retour là-bas est envisageable ?

J’y ai beaucoup pensé, car j’ai adoré la mentalité. Le jeu est différent là-bas, plus physique, plus vertical. J’ai vraiment apprécié la bienveillance dans les groupes et le cadre de vie génial au niveau des infrastructures et de l’accompagnement des joueuses. Cela me plairait de le faire pendant un an. Mais je ne sais toujours pas si je me consacre au football et pars à l’étranger, ou si je décroche un bon poste en ne gardant que le foot en parallèle.

Quel regard portes-tu sur la dernière Coupe du Monde ? Cette compétition peut-elle, selon toi, servir de tremplin au développement de ton sport en France et ailleurs?

Je trouve que la compétition a très bien été préparée en amont, que l’après a aussi été pensé avec le programme “héritage”, et il y a même un média qui s’est créé (rires). L’engouement était vraiment fort et  ça a bien été géré par la FFF. Les stades étaient plein et ça s’est vu au niveau des audiences, même en France ou en Italie où culturellement on ne suit pas le football féminin. Mais sportivement, la défaite contre les Etats-Unis est dommageable. Pour les passionnés, c’était une déception, on aurait préféré une finale.
Sur l’aspect post-coupe du monde, la compétition a aussi donné envie à plein de jeunes non-initiées de se lancer. Au FF Issy, on a eu énormément de demandes de licences, et je pense que c’était le cas dans beaucoup de clubs d’Ile-de-France. Beaucoup de jeunes filles sont arrivées, motivées et déjà en tenue. Pour autant, les clubs n’ont peut-être pas été assez accompagnés pour accueillir ce nouveau public.

 

“Il y a un manque de soutien aux clubs et d’accompagnement humain”

 

Ces dernières années, plusieurs pays européens comme l’Italie, l’Espagne et l’Angleterre ont fait le choix d’investir dans le football féminin et la professionnalisation, au point que la France semble désormais accuser un léger retard. Comment expliques-tu cette situation ?

Je pense qu’il y a peut-être un manque de soutien aux clubs. Dans l’accompagnement, c’est important qu’il y ait des subventions, mais aussi de l’accompagnement humain. Si un club manque d’éducateurs il faut que la fédération puisse apporter son aide.

Contrairement à la D1 qui est majoritairement professionnelle, la D2 ne l’est pas. Peux-tu expliquer quelles sont les conditions d’entraînement et de jeu en D2 ?

Il n’y a pas de clubs 100% professionnels, mais beaucoup tendent à la professionnalisation, augmentent leur budget et développent leur structure, comme le Havre, Nantes ou Rodez.
Pour ce qui est des conditions de jeu, grâce au Grand Paris Seine Ouest, on a la possibilité à Issy de s’entraîner sur de superbes infrastructures et le club a un partenariat avec un centre médical, même s’il manque de subventions et de sponsoring. Cela n’empêche pas les joueuses de s’entraîner quatre fois par semaine comme de véritables athlètes de haut niveau.

 

“Beaucoup de clubs de D2 et même de D1 se gèrent comme des associations, et ce n’est pas possible pour toucher le haut niveau”

 

Quels sont pour toi les freins à la professionnalisation complète des D1 et D2 en France ?

Beaucoup de clubs de D2 et même de D1 se gèrent comme des associations et ce n’est pas possible pour toucher le haut niveau, se développer et attirer de vrais noms. Je sais que c’est très tabou, mais il faut gérer un club de football comme une entreprise et je pense que cela pourra se faire via un accompagnement plus poussé de la fédération.

De nombreux clubs français sont favorables au “double-projet”, mi amateur-mi professionnel, et invitent leurs joueuses à occuper un emploi en parallèle. Ces projets sont-ils réellement viables sur le long-terme ?

C’est une conséquence du manque de structuration. Parce que ce n’est pas assez structuré, on encourage les joueuses à maintenir une activité en complément. Aussi, aujourd’hui, beaucoup de clubs ont encore pour priorité les garçons. Après, je suis favorable au double projet comme le mien où tu maintiens une activité intéressante à côté. Mais cela sous-entend que ton sport, même si tu le pratiques à haut niveau, n’est pas considéré comme une profession puisque tu n’es pas payée. Or, chez les hommes c’est considéré comme un métier, ce qui n’est pas équitable. On aspire au même modèle et si on y parvient le double projet sera caduc.

D’après toi, que faudrait-il améliorer ou changer dans la gestion du football féminin, pour professionnaliser la discipline ? Quelles sont les priorités dans lesquelles il faut investir ?

Je pense qu’il faudrait un véritable accompagnement des structures dans la transformation d’une association en un club professionnel. Ce passage impacte fortement le financement. La défiscalisation des dons favorise le mécénat pour les associations, et elle disparaît pour les clubs professionnels donc le type d’investisseurs change et il faut trouver des moyens de  les attirer. Il faudrait aussi que les joueuses soient davantage accompagnées à la sortie des pôles espoirs.

À Lyon, par exemple, l’absence de double projet fait que les joueuses sont logées et perçoivent des aides pour financer leur études. Enfin, Les joueuses gagneraient à être plus visibles, car les hommes gagnent leur vie aussi avec leur image. C’est un modèle culturel qu’il faut changer.

“Je déteste l’auto-censure. Aujourd’hui il n’y a pas de sport féminin ou masculin, tous les sports peuvent être pratiqués par tous” 

 

Cette épineuse question de l’égalité des salaires divise le monde du football. Quelle est ta position à ce sujet ? Ne doit-on pas craindre que le football féminin connaisse les mêmes dérives que le football masculin ?
J’ai vraiment du mal à me positionner. C’est compréhensible que des joueuses qui pratiquent leur sport au haut niveau et travaillent 35h par semaine comme pour n’importe quelle autre profession réclament un véritable salaire. Les joueuses doivent aussi être payées davantage car la réinsertion et la reconversion professionnelles sont souvent compliquées : elles n’ont pas forcément fait d’études à côté et leurs carrières s’arrêtent à 30-35 ans max., donc elles ont besoin de se protéger. Après, les salaires des hommes sont trop importants, mais ce n’est pas non plus  leur responsabilité, c’est tout un système.

Pour finir, quel message souhaiterais-tu faire passer aux jeunes filles qui hésitent à se lancer dans le football ? 
Il y a une chose que je déteste c’est l’auto-censure. Aujourd’hui il n’y a pas de sport féminin ou masculin, tous les sports peuvent être pratiqués par tous. Quand j’ai commencé, la situation était différente, c’était une transgression des us et coutumes. Lorsque quelque chose nous passionne, nous plait, il faut travailler pour réussir, chercher à se faire plaisir avant tout, et ne pas se mettre de pression, car la pression censure aussi. Maintenant les astres semblent alignés, c’est le bon moment pour se lancer et réussir dans le football.

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