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Face à une saison de D2 prématurément terminée et une énième montée en D1 non atteinte, Jérôme Bonnet revient sur la situation de l’ASSE. Entre frustration et sentiment d’injustice, il essaie de garder espoir.
« Comment avez-vous appris l’absence de montée en D1 et un championnat à 10 en première division, la saison prochaine ?
C’est une décision qu’on attendait depuis pas mal de temps. On était dans le flou depuis 7 mois. La première des choses était de savoir ce qu’il en était de la D2 sur cette fin de saison. Bien évidemment, quand on consulte les différents médias, il y a des rumeurs, des articles, des projections mais on n’a jamais eu de communication claire de la Fédé. Il a fallu attendre le COMEX pour apprendre cette décision. On a été surpris, dans la mesure où on aurait eu suffisamment de temps pour finir le championnat. Il y a une grosse désillusion, frustration et déception de la part des filles et du staff parce qu’on s’était préparés pour reprendre et ce manque de considération de la part de la Fédé a fait que les filles ont travaillé pour rien.
Le statut non professionnel de la D2 a été l’argument principal pour justifier l’arrêt de la compétition cette saison. Selon vous, ce statut devrait-il changer ?
Oui. Je trouve anormal qu’une joueuse qui a un contrat, qui fait les mêmes sacrifices qu’une joueuse de D1, qui a les mêmes contraintes en termes de déplacements (si ce n’est plus), ne puisse pas bénéficier du même statut qu’une joueuse de D1. Je trouve d’autant plus anormal qu’on creuse encore plus le fossé entre la D2 et la D1 par le nombre de contrats possibles. L’année dernière, les présidents des clubs se sont battus pour obtenir 12 contrats au lieu de cinq, alors que la D1 était avec un nombre illimité de contrats et la possibilité d’en faire pour 5 ans ! En D2, on était sur un modèle qui ne correspondait pas au niveau. On s’en est aussi rendus compte cette année, dans la mesure où on classe les joueuses en tant qu’amatrices alors qu’elles ont tout de joueuses de haut niveau.
Vous comprenez pourquoi cette limitation de contrats existe ?
Il faut faire un petit retour en arrière. Auparavant, en D2 il y avait 3 poules, la D1 avait 3 descentes sur 12, donc malgré l’évolution de la D2 les règlements sont restés les mêmes. La réforme qui a eu lieu pour faire avancer le foot féminin en France a été bénéfique, mais le règlement est resté un peu ancien par rapport à ce qui se fait à l’heure actuelle. À l’époque, très peu de clubs pouvaient se targuer de faire des contrats fédéraux et pouvant avoir des joueuses professionnelles, donc c’est pour ça, certainement, que 5 suffisaient.
Mais aujourd’hui la situation a bien changé, non ?
Depuis, il y a eu l’arrivée de clubs féminins affiliés à des clubs pros, avec des moyens supplémentaires, des clubs amateurs qui se structurent… Donc dans la mesure où cela permet de se rapprocher du modèle pro, je ne vois pas pourquoi on resterait à 5 contrats. Maintenant, beaucoup de clubs n’ont rien à envier à des clubs professionnels, en termes de structure et d’organisation. Donc si les clubs ne s’étaient pas battus pour augmenter la limite de contrats à 12, on serait restés à 5 cette année ! Et on n’aurait pas eu cet argument de dire que ce sont des joueuses de haut niveau. Elles auraient toutes été réduites au statut amateur.
« Le meilleur moyen de se faire entendre c’est de se regrouper, se mettre autour d’une table et discuter de ce qu’on voudrait voir comme progrès dans le foot féminin. »
Cette lutte, comment s’est-elle passée ?
C’est une volonté commune de faire bouger les choses. Et le meilleur moyen de se faire entendre est de se regrouper, se mettre autour d’une table et discuter de ce qu’on voudrait voir comme progrès dans le foot féminin, les avancées qu’on pourrait faire, les choses qui peuvent encore bloquer son développement durable et pérenne. Ça se passe par des réunions, des entretiens qu’on peut avoir entre coachs, entre membres de l’UNFP ou d’autres structures. Les filles font remonter aussi certaines choses. Et par la réunion en syndicats de clubs amateurs et professionnels. Le but n’est pas de dire que tout va mal. L’objectif est de faire avancer le foot féminin et de le faire avancer. On se rend compte que les fédérations étrangères nous ont rattrapés et se développent plus rapidement. On commence à prendre du retard, alors qu’on avait de l’avance il y a quelques années.
Pensez-vous que faire front commun de cette manière fera progresser les choses et obligera la FFF à dialoguer ? Ou ressentez-vous une résistance en face ?
Je ne dirais pas qu’on fait front. C’est être acteurs du développement du foot féminin. Et je pense qu’on doit être pris en considération par rapport aux différentes solutions que l’on propose ou aux différentes projections que l’on peut faire. Et justement, on ne fait pas front. On est une aide à la Fédé pour faire avancer les choses.
Après, on n’a pas le pouvoir de décision et c’est ce qui est problématique, dans un sens. Mais c’est aussi l’aléa de l’organisation fédérale. L’idée est de faire remonter l’information, car les décisionnaires ne sont pas sur le terrain. Or, ils ont besoin des hommes et des femmes de terrain, des actrices du football féminin, pour arriver à quelque chose qui soit cohérent, pérenne et qui permette de faire avancer le football féminin français.
Au vu de la situation actuelle, estimez-vous être entendus par ces décisionnaires ?
Bien évidemment, dans chaque décision il y a des éléments que nous ne connaissons pas. Nous essayons de rassembler un maximum d’éléments pour comprendre pourquoi cette décision a été prise. Et c’est vrai que certaines ont paru incohérentes. On a la volonté d’aller de l’avant et de développer le football féminin, mais on a l’impression que certaines décisions vont à l’encontre et freinent ce développement. On ne comprend toujours pas pourquoi on est allés dans ce sens. Certains rétropédalages ont par exemple été faits, comme lorsqu’on n’a plus pu s’entraîner, et deux semaines après on nous a dit que les clubs qui ont une majorité de contrat peuvent continuer. Ça n’envoie pas un signal cohérent pour tous les clubs de D2 et dénote une certaine inéquité de traitement. Il y a eu différents ascenseurs émotionnels pendant cette période et je peux comprendre que les filles se sentent lésées, non reconnues et non écoutées. On prône l’égalité des chances de pouvoir exercer leur travail et faire un championnat. Mais on se rend compte que ce n’est pas le cas.
« Ça a donné l’impression à certains d’avoir été pris pour des imbéciles et d’avoir perdu une saison de leur carrière »
Justement, comment le groupe de l’ASSE vit-il la situation ?
Je ne vous cache pas qu’une fois la décision prise, même si on s’y prépare parce qu’on voit le temps passer, on avait malgré tout de l’espoir. Il fallait rester positifs parce que c’est ce qui nous permettait de maintenir une intensité, la motivation des joueuses et les entraînements. Mais ça a été dur d’accepter cette décision… Ça s’est fait avec frustration et colère vis-à-vis de cette décision qui ne prenait pas en compte tout ce qu’on avait dit et fait. Ça a aussi donné l’impression à certains d’avoir été pris pour des imbéciles et d’avoir perdu une saison de leur carrière. Pour une fille qui joue en sélection ou peut participer aux JO, qui a envie de retrouver la D1, une saison de perdues comme ça est énorme. Et ça peut mettre un coup. Je vous donne l’exemple de ma capitaine Charlotte Gauvin, qui a mis un terme à sa carrière. C’est très difficile de se dire qu’on peut terminer sur une telle saison et décision. Avec l’impression de ne pas être reconnue à sa juste valeur par rapport à tous ses sacrifices. Il y a eu beaucoup de frustration et de déception.
Nous avons discuté avec Charlotte Gauvin récemment (ndlr, interview à venir) et elle paraissait très touchée par cette décision.
Oui, c’est de l’injustice. Et face à l’injustice, on a toujours du mal à accepter les choses. Là, on ne parle pas d’un classement et d’un quotient qui s’applique. On parle de travail et de pratique qui sont les même en D1 et en D2, et là il y a une inégalité de traitement. Il y a donc forcément beaucoup plus de colère.
Justement, cette colère, les joueuses l’ont exprimée par le biais de leur capitaine dans une tribune publiée dans L’Équipe. Votre capitaine en a été co-signataire. Pensez-vous que cela aura un effet sur les décisions à venir ?
C’était important pour toutes les capitaines de D2. On s’aperçoit qu’il n’y a pas qu’elles qui sont montées au créneau, il y a aussi des joueuses de D1, certains présidents. Donc c’est important de se faire entendre et de montrer son mécontentement. Montrer que toutes sont solidaires par rapport à la volonté d’avoir une D1 comme un des meilleurs championnats d’Europe, voire du monde. C’est pour ça que c’est important de se faire entendre. Est-ce que ça va jouer sur les décisions ? L’avenir nous le dira. Mais dans tous les cas, ça ajoute un poids dans la balance, avec toutes les actions qui sont faites communément pour montrer le mécontentement et des solutions pour que la D1 et la D2 existent à leur juste valeur.
Savez-vous si les clubs sont en discussion avec la FFF ? Si des choses sont prévues à l’avenir pour discuter avec les instances décisionnaires concernant la saison prochaine ?
Nous, techniciens, coachs ou joueuses, on entend des rumeurs, tout et son contraire. Le mieux est donc de préparer la saison qui vient et de rester dans notre domaine de compétences. Nous devons laisser agir les présidents de clubs, les syndicats, afin que tout ce qu’on fait remonter puisse être pris en compte. Parce qu’encore une fois, l’objectif est de trouver des solutions. La FFF est dans une position très délicate parce qu’elle s’appuie sur des règlements et si elle le fait tel qu’elle veut le faire, il y aura forcément des choses contradictoires. L’idée est donc de pouvoir réfléchir à des solutions qui permettent au minimum de revenir à une saison à 12 et d’avancer après le championnat à 14 ou à 16. Mais ce n’est pas le genre de décision dans laquelle le coach d’Orléans ou de l’ASSE pourra faire avancer les choses. C’est un travail collectif.
Vous vous projetez donc déjà sur la saison prochaine ?
On est bien obligés. On ne peut pas refaire le passé donc ça ne sert à rien de se lamenter (ndlr, sur la fin de saison). La Fédé a acté les choses, la situation est ce qu’elle est. Elle évoluera peut-être, mais peut-être pas. Gérer, c’est anticiper et on est déjà dans la préparation de la saison prochaine. On ne peut pas attendre encore une énième décision de la Fédé. Pour Saint-Étienne, c’est inconcevable donc on se prépare à une prochaine saison en D2, en mettant tous les moyens pour atteindre nos objectifs de montée. Ils nous échappent depuis maintenant 4 ans. Je m’attelle à préparer l’effectif, un championnat, d’établir la préparation de la saison prochaine afin d’être tout de suite opérationnels pour le début de saison.
« Pour une fois, on pourra peut-être partir sereinement en vacances »
Le fait d’avoir arrêté la saison plus tôt vous oblige-t-il à préparer la suivante de manière spécifique ?
Personnellement, et je parle pour le club de Saint-Étienne, cette année est la première fois que je peux préparer la saison prochaine dans les délais et à cette période-là. Les années précédentes, on était toujours dans l’attente de décisions par rapport à des recours, à des choses que l’on pourrait faire. Et là, savoir ce qu’il en est pour la saison prochaine nous permet déjà d’avoir un temps d’avance dans la préparation des effectifs, pour faire des entretiens, l’identification des profils dont on aura besoin pour être encore plus compétitifs la saison prochaine. On n’aura plus à attendre juin ou juillet pour faire le recrutement. Donc ça reste malgré tout important pour le coach et le staff de se projeter rapidement et ne pas perdre de temps. Pour une fois, on pourra peut-être partir sereinement en vacances.
Vous restez plutôt positif malgré la situation !
Oui, il faut ! On a eu tellement l’habitude de prendre des claques ces dernières saisons, par rapport à des objectifs non atteints, la situation de la COVID… Plutôt que de regarder par terre, autant se préparer au mieux à ce qui arrive. On m’a toujours dit que le côté positif amène du positif. Même si on est mécontent et frustré, il faut utiliser ces émotions pour en faire une force pour la suite. L’effectif que j’avais cette année avait déjà cette capacité de résilience et transformé le début de saison en force mentale. Malgré tout, je pense que ça sera quelque chose d’important et de bénéfique. Pour les joueuses, pour la saison et pour le staff. À la fin, on aura peut-être la chance de se dire qu’on est montés et qu’on ne se le doit qu’à nous-mêmes. On n’a rien sans rien et j’espère que ça finira par sourire à l’ASSE. Et puis contrairement à d’autres clubs, Saint-Étienne a eu la chance de ne pas trop suspendre sa pratique, d’être tout le temps sur le terrain, et ça aussi c’est quelque chose de positif. »