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La Jordanie, fleuron du football féminin au Moyen-Orient ?

Par 09/06/2020 08:00 No Comments
© Facebook – Ayah Al-Majali
Il y a 4 ans, la Jordanie accueillait la Coupe du monde féminine U17 puis, 2 ans plus tard, la Coupe d’Asie féminine, preuve de l’intérêt du pays pour le football féminin. Où en-est le football jordanien aujourd’hui ? Eléments de réponse avec Ayah Al-Majali et Zeina Petro.

Monarchie située entre les territoires syriens ou saoudiens, la Jordanie est assurément un pays de football. « Les Jordaniens sont fous de football ! On y joue absolument partout et cela génère de vraies passions. C’est indéniablement le sport n°1 ici. Mais lorsqu’il s’agit de football féminin, les choses sont différentes », nous décrit Ayah Al-Majali. La défenseure de 28 ans est un pilier de la sélection jordanienne, 58e nation au classement FIFA, un cran devant la Bosnie-Herzégovine. En mars 2019, elle était battue 10-0 par l’Équipe de France B de Perle Morroni et consorts, lors d’un tournoi amical en Turquie. Mais ce qu’il faut souligner concernant le football jordanien, ce ne sont ni les classements ni les scores, mais plutôt le potentiel de ce pays de 10 millions d’habitants en passe d’être le pays phare du football féminin au Moyen-Orient.

Une progression croissante

Pour beaucoup, l’événement footballistique le plus notable qu’ait connu la Jordanie reste l’organisation en 2016 de la toute première compétition féminine de la FIFA au Moyen-Orient, la Coupe du monde U17. La réalisatrice Widad Shafakoj y a consacré un film, 17, retraçant l’ampleur que prend peu à peu le football pour les jeunes Jordaniennes. Si la Jordanie est sortie la tête haute de la compétition malgré 3 défaites en autant de matchs, le véritable objectif était ailleurs.

En marge de l’évènement, la FIFA a  insisté sur « l’héritage » qu’il pourra laisser, tant pour le « football féminin » que pour les « femmes dans le football ». Des ateliers de formation à destination des entraîneurs, supervisés par la FIFA ont été mis en place, regroupant des techniciennes d’une dizaine de pays du Moyen-Orient. Le Comité organisateur local était composé à 75% de femmes dont Samar Nassar, sa présidente. L’ambition d’un tel tournoi dépassait donc le rectangle vert et deux ans plus tard, la Jordanie a  pu démontrer une nouvelle fois ses qualités d’organisatrice en accueillant la Coupe d’Asie féminine.

Le cheminement du football jordanien ne s’est pas arrêté là. « 2019 a marqué une étape importante avec la constitution du premier championnat féminin professionnel » relate Ayah Al-Majali. « Dans le passé, nous jouions sans aucun contrat entre les joueuses et leur club, et la rémunération était minime. À partir de 2019, nous avons été en mesure de signer des contrats et toutes les équipes ont commencé à importer des joueuses de l’étranger. » S’il n’est toujours pas possible de vivre du football, l’amélioration est notable et doit permettre de viser encore plus haut. Selon la défenseure, malgré l’incertitude liée à la situation actuelle, l’objectif  pour le football féminin jordanien en 2020 doit être d’améliorer le niveau de jeu, dans les clubs et en sélection afin de rêver à une qualification historique pour la prochaine Coupe du monde.

Des objectifs nombreux mais atteignables

Pour espérer participer au prochain mondial, la Jordanie a centré le développement du football féminin jordanien autour de trois facteurs : la popularisation, la formation et l’ambition. « La barrière culturelle est la principale raison qui explique pourquoi tant de filles ne jouent pas au football ici. Nous travaillons beaucoup pour augmenter le nombre de clubs féminins » nous confie Zeina Petro, internationale jordanienne entre 2005 et 2013, aujourd’hui entraîneure. Populariser en masse la pratique du football féminin revêt un enjeu capital dans un pays où encore en 2005, année de création de la première équipe féminine, « c’était véritablement une idée nouvelle ici pour les filles de jouer au football ».

L’essor de la pratique féminine passera aussi par la construction de structures encadrantes, à l’image des « Prince Ali Grassroots Centers », terrains d’entraînements présents au quatre coins du pays. Ayah Al-Majali peut se considérer comme « un exemple » de la réussite de ces nouvelles infrastructures. « J’en ai été diplômée en 2004. Dès 2005, je suis devenue la première joueuse à avoir rejoint l’équipe nationale directement après mon passage dans ces centres. ». Offrir l’opportunité de jouer à un nombre croissant de filles est aussi une mission que s’est donnée la FIFA qui organise des ateliers pour les joueuses à travers son programme « Live your goals ».

Néanmoins, pour que le football féminin se pérennise, il ne suffit pas d’étendre la pratique, il faut l’encadrer à l’aide de formateurs compétents. « Avoir des entraîneurs qualifiés, c’est ce qui permettra au football féminin de se développer », assure Zeina Petro, qui possède aujourd’hui la certification B de l’AFC (zone Asie). « Mon objectif en tant que coach est d’entraîner non seulement des filles mais aussi des garçons. » À terme, pouvoir offrir « une formation obligatoire pour tous les coachs passionnés » est l’objectif vers lequel doit tendre la fédération comme acteur-clé.

© KMB Football Academy

Le troisième volet de développement est lié à l’ambition du pays, d’où la nécessité d’améliorer le niveau de jeu. Jouer à l’étranger peut être un moyen pour les joueuses jordaniennes de progresser avant de revenir en sélection. Il existe des exceptions, comme Sarah Abu-Sabbah, héroïne de la Coupe du monde U17 qui évolue actuellement en Allemagne, pays où elle a grandi, mais ces exceptions sont rares. « Là où nous en sommes, c’est difficile pour les locaux de jouer à l’étranger, surtout en Europe. Nous n’avons pas encore de véritable marketing pour les joueuses. Nous possédons énormément de talents en Jordanie, mais sans marketing ni agents officiels, c’est très dur de les rendre visibles. » constate Ayah Al-Majali. La professionnalisation du championnat était une première étape essentielle, mais il reste beaucoup à faire.

Une impulsion politique primordiale

Le succès des Jordaniennes au plus haut niveau a un impact direct sur la démocratisation du football. « Voir de tels succès encouragent les joueuses à jouer au football » explique Ayah Al-Majali, qui poursuit « et quand je parle des joueuses, je veux aussi dire leur famille. Lorsqu’elles sont jeunes, si elles n’ont pas le soutien de leur famille, la plupart ne pourront pas continuer à jouer et progresser. » En augmentant la qualité du football, cela augmente son attractivité et favorise ainsi l’acceptation par la population de la pratique féminine du sport roi.

D’ailleurs, si le football féminin peut se développer sainement en Jordanie, c’est aussi grâce au soutien politique. « La famille royale, le Roi Abdallah II et la Reine Rania, supporte toute pratique sportive, surtout le football. » confirme Ayah Al-Majali. Cela s’illustre à travers le Prince Ali, ancien candidat en 2015 à la présidence de la FIFA – soutenu  à l’époque par Platini ou Maradona –  qui dirige la Fédération Jordanienne de Football. « Il est le supporter n°1 du football féminin. Sans ses efforts nous n’aurions peut-être pas d’équipe nationale féminine » soulignent Ayah et Zeina. Dans cette monarchie où de très nombreuses fédérations sportives sont dirigées par des membres de la famille royale, l’influence du politique sur le football est fondamentale. En amont de la Coupe du monde U17, la Reine Rania affirmait que le football pouvait être un moyen de « changer les comportements et la façon dont la société perçoit les filles et les jeunes femmes. »

Dans cette perspective, il ne faut pas négliger l’importance que pourra avoir le football féminin en Jordanie, ainsi que, d’ici quelques années, la Jordanie pour le football féminin.

Un grand merci à Ayah Al-Majali et Zeina Petro pour avoir répondu à mes questions et à Firas pour son aide précieuse.
Thanks a lot for to Ayah Al-Majali and Zeina Petro for answering my questions and to Firas for his precious help.

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