Pierre-Yves Bodineau – ©PSG
Grace Geyoro, Perle Morroni ou Sandy Baltimore encore Marie-Antoinette Katoto, toutes ont été formées par un certain Pierre-Yves Bodineau. Dans un long entretien, leur ancien entraîneur se confie à L’Equipière sur la genèse du projet de la formation parisienne, et sur l’évolution des Titis qu’il a entraînées.
Ancien joueur formé au Paris Saint-Germain, Pierre-Yves Bodineau interrompt sa carrière après un accident de la route. Après des études de droit, il devient entraîneur à 22 ans. Son parcours chez les garçons, le ramènera un jour vers le club qu’il a toujours aimé et le fera s’occuper des plus grands talents du football féminin français actuellement.
« Elle nous l’avait prouvé quand elle était vraiment très jeune dans le groupe U19. On pouvait être mené 2-0, elle marquait trois buts ! »
Sandy Baltimore explose depuis deux saisons. Vous qui l’avez côtoyée dans sa jeunesse, pensez-vous qu’elle a encore un potentiel inexploité à nous montrer en plus de ses performances déjà remarquables ?
Tout le monde s’était accordé l’année dernière pour dire qu’elle avait passé un cap, qu’elle était de plus en plus forte. Pour moi elle a toujours été comme ça, elle a toujours été au-dessus des autres et elle a toujours été capable de faire des choses que beaucoup d’autres filles ne sont pas capables de faire. Elle nous l’avait prouvé quand elle était vraiment très jeune dans le groupe U19. On pouvait être menée 2-0, elle marquait trois buts! Elle est capable de changer un match à elle toute seule. L’année dernière, on a vu qu’elle était décisive, je pense qu’elle peut davantage l’être, davantage marquer. Elle peut progresser sur sa perception du jeu, sur la perception de l’environnement. Au niveau de sa prise d’information, si elle s’améliore, elle peut faire encore plus la différence. Techniquement, c’est déjà quelque chose, c’est un phénomène. Physiquement, il faut juste qu’elle s’entretienne et qu’elle conserve cette vitesse. Elle est désormais capable de répéter les efforts à haute intensité. C’est ce qu’on pouvait lui reprocher quand elle était jeune, dans les sélections de France où certains pensaient d’ailleurs qu’elle ne serait jamais une joueuse de haut niveau. Nous, nous étions convaincus du contraire. Au niveau mental c’est quelqu’un de très posée, qui a une énorme confiance en elle, qui sait que du jour au lendemain tout peut arriver dans le football. Elle sait relativiser et face à toutes ces nouvelles sollicitations des médias, elle garde la tête sur les épaules. Pour moi, elle a tout pour répondre aux exigences du haut niveau. Bien sûr tactiquement, il y a un nouveau coach, donc c’est là on va l’attendre. Normalement, il devrait rester dans un 4-3-3. Même si Perle n’est plus sur son côté, elle peut rapidement nouer la même relation avec Sakina Karchaoui. Je ne m’inquiète pas. Elle peut avoir le même impact que Neymar chez les garçons. Elle peut être encore plus mise en avant. Elle peut devenir, non plus, meilleure espoir, mais meilleure joueuse de D1 très rapidement. Ça va se battre avec Grace et Marie mais c’est bien de les avoir chez nous. C’est fantastique de posséder des joueuses issues du club d’un tel niveau!
« Je suis très fier d’elles, de toutes, parce qu’elles représentent le PSG, elles adorent ce club, c’est l’ADN du club. «
Vous avez déclaré il y a quelques années au sujet de Marie-Antoinette Katoto, “ Je crois que l’on tient une très grande joueuse”, on a effectivement pu voir à quel point s’en était une. Même si ce n’était qu’un match de présaison, c’est une tendance qui devrait se confirmer, Grace Geyoro devrait être capitaine du PSG cette saison.* Qu’est-ce que cela vous fait de voir toutes ces joueuses que vous avez formées à ce niveau-là aujourd’hui ?
Je suis on ne peut plus fier. Grace était ma capitaine à l’époque. Je sais qu’il n’y a même pas à hésiter. C’est sûr que l’on avait Irene (Paredes) qui était bien dans ce rôle. Mais qu’aujourd’hui, elle prend le capitanat c’est quelque chose de logique. Je suis très fier d’elles, de toutes, parce qu’elles représentent le PSG, elles adorent ce club, c’est l’ADN du club.
Mon ambition c’était de réaliser ce que le Barça avait pu faire avec ses garçons à l’époque. D’avoir des garçons formés au club, qui soient les leaders de l’équipe première. On a réalisé la même prouesse que le grand Barça ou le grand Ajax avec nos filles. Pour moi ce n’est pas encore assez mis en avant. Ni par le club, ni par les médias. C’est une immense fierté pour moi parce que ce sont ces filles qui portent le projet. L’année dernière avec Perle, c’était plus d’un tiers de l’équipe-type qui était formé au club, c’est quand même énorme ! C’étaient mes prévisions. Je savais qu’on était capable de faire qu’une équipe de Parisiennes Elles ont réalisé mon rêve en remportant ce titre
Bien sûr, le PSG a toujours eu des stars internationales, mais je pense qu’on pourrait au moins former la moitié de l’effectif. Je pense d’ailleurs que l’on aurait pu avoir encore plus de filles dans cette aventure. Et finalement, c’est plutôt ça ma fierté. C’est d’avoir réussi à montrer que nos titis ont du talent. Et qu’aujourd’hui Presnel Kimpembe et Grace Geyoro soient respectivement capitaines des équipes fanions, c’est vraiment formidable pour notre institution!
« J’espère que le PSG se donnera les moyens de conserver ces joueuses qui sont toutes en fin de contrat et qu’on tirera les leçons du passé en stabilisant le projet. «
Le club vient de gagner le championnat. Beaucoup de joueuses cadres ont quitté l’équipe. Ne serait-ce pas le moment pour que la jeune garde parisienne prenne les rênes de l’équipe ? Même si c’est déjà un peu le cas, n’est-ce pas le moment pour que le PSG devienne l’équipe des Katoto, des Geyoro, des Baltimore… ?
Malheureusement, je ne sais pas si l’on a bien préparé cela. Je pense que c’est la volonté de la direction actuelle mais au niveau de la transition, ça ne s’est pas très très bien fait. On a perdu des joueuses très importantes pour le projet. L’idée c’est de conserver nos joueuses un maximum ! Car on se repose déjà sur ces talents depuis un bout de temps.
Il faut se rappeler qu’en 2017, Grace Geyoro jouait libéro avec Patrice Lair et qu’elle tenait l’équipe à cette époque là. Marie-Antoinette Katoto, ça fait quatre ans qu’elle est la meilleure buteuse du championnat ( 1ère en 2019 et 2020, 2ème en 2018 et 2021) et qu’elle porte l’équipe depuis tout ce temps. On a là deux énormes talents, qui à côté de ça ont montré la voie à d’autres et les ont tirés avec elles. Certes, Perle Morroni est partie, mais elle était une titulaire incontestable et elle a aussi beaucoup compté dans la quête du titre cette année. La réussite de ses filles a aussi permis de révéler une Sandy Baltimore qui est venue compléter l’effectif. C’est déjà une des meilleures attaquantes d’Europe, tout le monde le dit. Donc en fait, ça fait déjà longtemps que ce sont ces joueuses qui tiennent le projet.
J’espère que le PSG se donnera les moyens de conserver ces joueuses qui sont toutes en fin de contrat et qu’on tirera les leçons du passé en stabilisant le projet. Parce que cette année en perdant des joueuses comme Endler ou Paredes, c’est très compliqué de repartir. De changer de staff aussi, c’est un risque. Donc pour moi, oui, c’est véritablement le plan que ces joueuses commencent et terminent au club. Je pense qu’elles ont toujours cet objectif là, mais, attention, il ne faut pas croire que c’est un acquis. Il y a peut-être beaucoup de clubs qui vont venir toquer à la porte bientôt, pour essayer de les déloger, pour essayer de casser le projet du PSG qui montre des fragilités, lors des intersaisons.
L’année dernière, on a quand même deux joueuses extraordinaires du centre de formation qui sont parties à Lyon. Et pour moi, c’est un vrai pied de nez. Quand on a Vicki Becho et Alice Sombath qui partent, c’est horrible, parce qu’on tenait là des joueuses qui devraient faire aujourd’hui leurs premiers pas , dans le groupe pro.
« On devrait davantage surfer sur ce titre et mettre en avant encore plus les filles par rapport à cet exploit. »
Aujourd’hui, vous pensez que pour des jeunes filles de 15-16 ans, Lyon fait plus rêver que le PSG, même en région parisienne ?
Je pense qu’en région parisienne, on a fait un gros boulot. Il y a beaucoup de filles maintenant qui rêvent d’être au PSG. Avant 2016, ce n’était pas le cas. Il faut se rappeler que les Marie-Antoinette, les Grace, les Sandy,… n’avaient pas vraiment de modèle de joueuse lorsqu’elles ont commencé le football. Toute cette génération là, elles regardaient plutôt les garçons. Elles ne pouvaient pas réellement se projeter. Maintenant, les jeunes filles peuvent le faire par rapport à des profils comme Marie, Grace, Sandy. Donc, j’ose espérer et je pense, que oui, les meilleurs talents parisiens aujourd’hui donnent la priorité au PSG.
Mais si Lyon rentre dans la danse, étant donné que c’est encore le meilleur club féminin du monde, grâce aux conditions qu’ils offrent à leurs jeunes joueuses et la qualité de leur nouveau centre de formation, cela peut donner à réfléchir. En effet, je pense qu’ils se sont rendus compte qu’ils avaient pris du retard, qu’on était passé devant et ils font actuellement beaucoup d’efforts pour attirer les meilleures jeunes . Heureusement qu’on a été champion cette année, qu’on a de très bonnes joueuses, qu’on porte haut nos couleurs ! Mais c’est quelque chose qu’il faut entretenir et renforcer d’année en année. Nous on a cette capacité à obtenir quelque chose lorsqu’on le souhaite parce que l’on se donne les moyens pour l’obtenir. Mais c’est dommage qu’à Paris ce soit trop ponctuel. A Lyon, tous les supporters connaissent déjà la date du PSG-Lyon. Ici, il n’y a que quelques personnes qui ont déjà coché la date. Il n’y a pas encore la culture à Paris du foot féminin.
On devrait davantage surfer sur ce titre et mettre en avant encore plus les filles par rapport à cet exploit. Surtout que l’année dernière ça sauve un peu la saison du club puisque qu’on a pas gagné le championnat avec les garçons et on est malheureusement éliminé en Ligue des Champions. Le titre des filles c’était quand même exceptionnel et je pense qu’on aurait dû plus le mettre en avant et accélérer à ce moment-là. Et, attention, c’est ce que peuvent regretter les filles. parce que pour moi, l’exploit n’est pas considéré à sa juste valeur. Même si Lyon était peut-être un peu moins bien cette saison, ça reste le club aux cinq Ligues des Champions de suite et aux quatorze championnats de France d’affilée.
On peut voir que les féminines sont de plus en plus impliquées dans la communication du club. Notamment pour les produits textiles ou les campagnes de pub sont souvent mixtes.
C’est aujourd’hui faire preuve de modernité que d’associer les athlètes féminines aux masculins. Il était temps ! Il faut savoir qu’au départ quand ils ont lancé la collaboration avec Jordan, ils n’avaient pas prévu de collection pour les filles. Aujourd’hui, les produits féminins font un carton! Les filles, c’est véritablement l’avenir du football.
Et, j’étais parti de ce postulat qui était que, en montrant qu’on sait faire bien jouer les filles, on démontre qu’on est la meilleure école de football. Et c’est pour ça que je voulais absolument que Paris remporte la Ligue des Champions avant le Barça. Parce que le Barça était déjà la meilleure école de football jusqu’ici et ils ont montré la saison dernière que ça reste la meilleure école de football de l’histoire, en étant le premier club à avoir remporté la Ligue des Champions chez les garçons et chez les filles. Pour moi, c’est rageant parce qu’à l’époque, déjà en 2016, on faisait des oppositions contre le Barça et je voyais qu’ils travaillaient très bien et que si on était pas stable, si on mettait pas les bouchées doubles, ils nous passeraient devant et c’est ce qui s’est passé et c’est franchement malheureux…
D’ailleurs, aujourd’hui, on voit qu’on est encore dépendants du Barça. Nos deux meilleurs joueurs viennent de chez eux (en référence aux hommes), et on est encore un petit peu en dessous d’eux. Et pour devenir l’équivalent, il faut insister sur la formation de nos joueurs et de nos joueuses. On le fait très bien, on a de très bons techniciens aux clubs, on a une très bonne cellule de recrutement. Même si tout le monde connaît les titis du PSG etc…, on devrait davantage mettre ce travail en avant pour renforcer l’identité du club.
C’est bien d’avoir des stars internationales, mais c’est encore plus valorisant de montrer qu’on a formé beaucoup de joueurs, qui jouent dans nos équipes ou même dans d’autres équipes prestigieuses, dans les divers championnats en Europe. C’est ce qui donne une vraie force au club. Et c’est pour ça que c’est une grande fierté d’avoir contribué à ce phénomène et j’espère qu’on va encore se régaler encore longtemps grâce à nos Titis parisiennes.
* Interview réalisée avant le début du championnat