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Le football féminin chinois en quête de renouveau

Par 07/04/2022 08:29 avril 12th, 2022 No Comments
Dimitri Lipoff avec l’équipe du Dalian Quanjian en 2017 – ©Dimitri Lipoff
Alors que sa sélection nationale vient d’obtenir un ticket pour la Coupe du monde 2023, le développement de la pratique féminine est encore inégal en Chine. Pourtant, l’Empire du Milieu, qui a été le premier pays hôte de la coupe du monde féminine, en 1991, ne manque pas d’arguments.

Vainqueur de la dernière Coupe d’Asie et 14e du classement FIFA, la sélection féminine chinoise a connu ses heures de gloire entre les années 90 et le début des années 2000. Seul pays à avoir accueilli deux coupes du monde féminine (1991, 2007), la Chine a par ailleurs été médaillée d’argent aux JO de 1996 et vice-championne du monde en 1999. 

Aujourd’hui, malgré l’essor du championnat local, des moyens financiers conséquents et des joueuses à fort potentiel, cette sélection peine à performer lors des événements intercontinentaux. Un paradoxe analysé par Dimitri Lipoff et Jocelyn Prêcheur, deux entraîneurs français ayant évolué dans le championnat chinois.

Technique, rigueur et professionnalisme : l’équation du succès ?

« Le football féminin chinois n’a pas grand-chose à envier aux différents championnats féminins dans le monde, parce qu’il est bel et bien développé », affirme d’entrée Dimitri Lipoff, ancien entraîneur adjoint de Wuhan avec qui il a remporté la Chinese Women’s Super League ces deux dernières saisons, lorsqu’il s’agit d’évaluer le niveau du championnat féminin en Chine.

 Aux joueuses formées localement, cet ancien technicien du PSG et de l’OL reconnaît une certaine habileté technique et une aisance gestuelle, même si la plupart débutent le football sur le tard. Un avis partagé par Jocelyn Prêcheur, ancien analyste vidéo puis coach du Jiangsu Suning de 2019 à 2021. « Il  y a un bon niveau technique en Chine. D’une part parce que les joueuses sont souples et coordonnées, mais également parce qu’elles ont cette caractéristique de travailler beaucoup dans l’analytique et la répétition des gestes », explique-t-il.

Outre ces aptitudes, le travail physique et technique se veut particulièrement rigoureux. Conséquence de ce labeur assidu et intense, un faible nombre de blessures en cours de saison. Une soif de travail qui se justifie par un « complexe d’infériorité sur les capacités physiques » selon Dimitri Lipoff. « En Chine, les joueuses se pensent moins bonnes physiquement que d’autres équipes ». Ce sentiment motive les joueuses à travailler davantage. « C’est culturel. Pour elles, plus tu travailles, plus tu vas réussir et avoir du mérite », explique le coach et ancien préparateur physique.

Jocelyn Prêcheur avec le Jiangsu Suning ©Chinese Football Association

Si le football féminin chinois n’a rien à envier aux autres, c’est également parce que les clubs de première et deuxième division sont tous professionnels. Mais le format actuel des championnats, qui a évolué ces deux dernières années après la pandémie, limite son rayonnement. « Depuis la pandémie, il n’y a plus de formule avec des matchs aller et retour, mais des camps avec confinements imposés. Le championnat est condensé sur des périodes restreintes avec des matchs tous les trois jours. Donc forcément, le rythme et l’intensité baissent au fur et à mesure des rencontres », décrit Jocelyn Prêcheur. 

Mais l’analyste vidéo se souvient des grands noms de l’époque de son arrivée en Chine, en 2018. Parmi eux, Vero Boquete, Cristiane, Shirley Cruz ou encore Asisat Oshoala étaient attirées par les conditions de vie, mais aussi le niveau général de la compétition.

Tout pour l’élite

Le développement du football féminin chinois se justifie par des investissements massifs du gouvernement et des provinces, notamment au profit de l’élite. Les deux premières divisions sont professionnelles et leurs pensionnaires y jouissent d’un certain confort matériel et financier, difficile à trouver ailleurs. « Elles sont très bien payées, elles sont nourries, logées et blanchies puisqu’elles vivent dans un camp d’entraînement où elles ont tout », explique Jocelyn Prêcheur. Les infrastructures et les moyens humains ne sont pas en reste. « Il y a beaucoup de choses de faites au niveau de l’internat, de l’encadrement, de l’extra-sportif, de la nourriture, des équipements… », poursuit-il. 

Pour les équipes nationales, des moyens tout aussi importants sont mis à disposition, notamment parce que le football féminin est une discipline olympique et que « les Chinois considèrent beaucoup plus les Jeux olympiques que toute autre compétition. S’agissant de la motivation principale de la Chine en matière de sports, les investissements financiers et humains sont énormes », analyse Dimitri Lipoff. Et ce sont même les sélections nationales et leurs calendriers qui dictent tout le reste : « Les sélections sont reines », admet Jocelyn Prêcheur.

Aujourd’hui, à l’heure des premiers bilans, la fédération de football (Chinese Football Association) constate que les investissements ont été massivement tournés sur l’élite au détriment de la formation des jeunes. Grâce à la passion du Xi Jinping, président de la République Populaire de Chine, pour le ballon rond, le football a été proposé dans toutes les écoles en Chine pour développer sa pratique. Mais cette initiative, malgré l’engouement qu’elle entraîne, n’est pas suffisante pour encadrer correctement les jeunes filles. « Même si elles veulent pratiquer le football, il n’y a pas assez de moyens, de stades et de structures au niveau local pour qu’elles puissent s’entraîner convenablement. Avec la taille des provinces chinoises et leur nombre d’habitants, il devrait y en avoir davantage, regrette Jocelyn Prêcheur. La fédération est en pleine restructuration, ce qui présage de bons espoirs pour la suite mais ça prendra du temps ». 

Ainsi, l’un des principaux enjeux à moyen terme pour la Chine est d’inscrire le développement du football féminin dans une perspective locale pour fermenter le vivier de jeunes joueuses formées dès le plus jeune âge, qui viendra ensuite alimenter les équipes professionnelles et les sélections.

Formation et ouverture : les deux chaînons manquants du développement

 Si aujourd’hui le football féminin chinois ne manque pas de moyens au plus haut niveau et dispose de joueuses à fort potentiel, les résultats de l’équipe nationale lors des grands événements ne sont pas encore au rendez-vous. Malgré la victoire des Chinoises lors de la dernière Coupe d’Asie en février, la situation reste « frustrante » pour les deux entraîneurs qui ont exercé en Chinese Women’s Super League. 

Alors pourquoi les Roses d’acier, 19e au classement FIFA, ne performent-elles pas durablement malgré un championnat presque arrivé à maturité ? Pour les deux Français, l’insuffisance de la formation des entraîneurs serait le principal frein du développement du football féminin chinois. « Il faut trouver des formateurs qui vont apprendre aux entraîneurs chinois comment former des joueuses », explique l’ancien entraîneur du Jiangsu Suning. Il prend notamment l’exemple du Japon : « Il y a 10-15 ans, le Japon a été cherché Claude Dusseau, qui était à l’époque directeur de l’INF (Institut National du Football) à Clairefontaine, pour qu’il forme les entraîneurs japonais. Et ça a porté ses fruits au niveau du football féminin, parce qu’aujourd’hui, le Japon est une grande nation mondiale et la meilleure nation asiatique.»

Wuhan devient champion de Chine pour la première fois de son histoire en 2020 ©Fédération chinoise de football

Ce déficit de formation des encadrants et la faible tradition footballistique en Chine se manifeste sur le plan tactique du jeu. Si les joueuses ont un bon niveau physique et technique, « la tactique est vraiment à développer, c’est leur faiblesse », analyse Dimitri Lipoff. Son ancien collègue de Jiangsu prend l’exemple du système de jeu : « Le 4-4-2 est la culture tactique de la Chine, ça ne va pas plus loin. En général, les équipes qui affrontent la Chine n’ont aucune surprise sur le schéma tactique des Chinoises, ce sera un 4-4-2. Ça marchait peut-être à une époque, mais aujourd’hui pour avoir des prétentions internationales dans les plus grandes compétitions, il faut voir plus loin au niveau tactique ».

Leur solution pour pallier ces lacunes tactiques ? Envoyer des joueuses à l’étranger pour compléter leur formation tactique et footballistique générale. Mais trop peu d’entre elles se risquent à tenter l’expérience, pour des raisons bien précises. « La première, c’est qu’elles ont un confort matériel et financier en Chine qui est très difficile à trouver ailleurs. Pour d’autres, c’est également un manque de maturité et le fait que peu d’entre elles parlent une autre langue que le Chinois parce qu’elles sont déscolarisées très jeunes. Donc oui, l’étranger fait peur. Et encore plus depuis la pandémie, explique Jocelyn Prêcheur. C’est une étape du développement du football féminin chinois qui sera incontournable à l’avenir. » Dimitri Lipoff, en quête d’une expérience en tant qu’entraîneur principal d’un club ou d’une sélection, se montre très optimiste pour la suite: « Je pense que la Chine a tout pour devenir une superpuissance du football féminin.»

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