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L’éclosion du football féminin africain

Par 17/02/2023 08:16 février 18th, 2023 No Comments
La sélection sénégalaise féminine rêve encore de Mondial – ©FSF
Alors que quatre équipes africaines sont déjà qualifiées pour la Coupe du monde 2023, deux autres nations du continent pourraient obtenir leur ticket à l’occasion des barrages intercontinentaux. Pourtant, jamais plus de deux nations africaines n’avaient participé à un même Mondial. Un événement historique qui symbolise l’évolution du football féminin africain, autant dans ses structures que dans les esprits.

Une CAN et une année historique pour le football féminin africain

Le peuple marocain n’a pas attendu la finale de la dernière Coupe d’Afrique des Nations pour célébrer ses championnes. Hôtes de la 14ème CAN de l’histoire cet été, les Lionnes de l’Atlas ont pu compter sur le soutien indéfectible du 12ème homme tout au long de la compétition. En demi-finale, les Marocaines n’ont pas seulement réussi l’exploit d’éliminer le Nigéria, tenant du titre, mais aussi celui de réunir 45 562 spectateurs au stade Prince Moulay Abdallah. Une record pour un match de football féminin africain. « Organiser la CAN, c’était une opportunité incroyable et elle a été organisée de façon magistrale », confie Reynald Pedros, sélectionneur de l’équipe féminine du Maroc depuis novembre 2020.  

Pourtant, dans le Royaume chérifien comme ailleurs en Afrique, le combat du football féminin, qui sort peu à peu de son anonymat, semblait loin d’être gagné d’avance. « C’est vrai que le football féminin n’était pas reconnu ici (au Maroc) avant cette CAN. On n’en parlait pas dans la rue. Notre objectif était de faire connaître le football féminin au peuple marocain, qui est un peuple de football et de faire venir au stade une autre population de fans, les femmes, les enfants, qui ne se déplacent pas souvent même pour les garçons », explique-t-il. 

A l’issue des trois semaines de tournoi, le bilan est clair : jamais une coupe d’Afrique féminine n’avait autant rassemblé. Une superbe victoire pour le pays de l’Atlas, qui malgré la défaite en finale contre l’Afrique du Sud (1-2), s’est enfin fait un nom sur le continent. Car en Afrique, encore plus qu’ailleurs, le football féminin doit dribbler les stéréotypes.  

Gagner les cœurs et les esprits

Si le Maroc a vibré au rythme des performances de son équipe nationale, d’autres cœurs ont été conquis. Au Sénégal aussi, la compétition est loin d’être passée inaperçue. Pour leur troisième participation, les Lionnes ont atteint pour la première fois les quarts de finale. Cet exploit, retransmis en direct de la télévision nationale, a suscité une vague d’enthousiasme dans le pays, même chez les plus réticents. « Tout le monde était derrière cette équipe. J’ai un voisin qui m’a dit qu’il allait désormais suivre le football féminin. Je lui ai dit que ça existait depuis longtemps mais ici au Sénégal, il y a trop de tabous, de préjugés», confie Ndeye Fatou Diagne, 47 ans, ancienne joueuse du club des Aigles de la Médina (Dakar) dans les années 90, venue retrouver ses coéquipières d’antan le temps d’un après-midi.

Son entraîneur de l’époque, Khalil Kouyaté, également présent pour ces retrouvailles autour du ballon, n’est pas étonné non plus. « C’est notre victoire. Ça ne nous a pas surpris, on savait que tôt ou tard d’autres générations allaient faire triompher notre vérité ». Si la fierté est de mise, c’est parce que ses joueuses et lui ont posé les premiers jalons du football féminin au Pays de la Teranga, en défiant préjugés et regards curieux.

« Quand on allait aux entraînements, les gars nous traitaient de « garçons-filles », nous disaient d’aller cuisiner, d’étudier, d’aider nos mamans. Nous on le faisait par passion, et on n’a jamais écouté ce qu’ils disaient », se remémore Ndeye Fatou. 

A ses côtés, sa fille adolescente, vêtue d’un maillot de l’OL, se rêve en footballeuse professionnelle. Un songe utopique trente ans plus tôt, qui est aujourd’hui plus accessible à mesure que le football féminin africain se structure. 

Seyni Ndir Seck autour de ses anciennes coéquipières – ©Marie Diémé (L’Equipière)

Un travail dans le temps

Doté de deux divisions, mises en place en 2000, le Sénégal œuvre pour hisser son football féminin. Seyni Ndir Seck, présidente de la commission du football féminin en témoigne: « La Fédération a commencé à travailler sur le football féminin dans les années 2000, on est en train de grandir et ça prend forme. L’année dernière nous avons enregistré 729 licenciées pour le championnat féminin, et 21 équipes réparties dans 11 régions sur 14. Nous avons trois régions où il n’y a pas de football féminin. Aujourd’hui, nous faisons tout pour qu’il existe dans ces régions-là ».

Des chiffres relativement faibles au regard des 16 millions d’habitants que compte le pays. Si elle reconnaît volontiers que d’autres nations comme le Ghana ou le Nigéria ont encore de l’avance, pas question pour autant de mettre la charrue avant les bœufs. Alors la Fédération cherche surtout à attirer les plus jeunes vers les clubs et à leur créer un championnat, inexistant aujourd’hui. « La difficulté au Sénégal est d’encadrer le football féminin dans les petites catégories. Il y a des écoles de football un peu partout dans Dakar, mais il n’y a pas de filles. Le jour où on réussira ce pari de voir des filles jouer partout, on pourra avoir ça», explique l’ancienne capitaine de l’équipe nationale. 

Un point de vue partagé par Reynald Pedros. « Il y a de la qualité mais il faut aller dénicher ces jeunes filles qui veulent faire du foot et bien les encadrer dès le départ, comme on a pu le faire en France », explique le double vainqueur de la Ligue des champions UEFA avec l’OL.

Hausser son niveau de jeu

A l’exception des Asisat Oshoala (NGA, FC Barcelone) ou autres Estelle Johnson (CMR, Gotham FC), rares sont les joueuses africaines à évoluer dans les plus grands championnats du monde et à se confronter à une grande adversité tout au long de la saison. 

Sur ce sujet, la confédération africaine (CAF) a mis les bouchées doubles. En juillet 2020, l’instance continentale dévoilait sa stratégie 2020-2023, dédiée au football féminin. Ce programme prévoyait notamment la création d’une Ligue des champions féminine, qui a vu le jour en 2021 avec 8 équipes, près de 60 ans après celle des hommes. Une grande étape qui permet aux joueuses, cantonnées aux championnats locaux, de se jauger au niveau international en dehors des sélections. 

« C’était un bon début. Il faut laisser aux joueuses le temps de s’installer. Elle va se bonifier au fil des années. La plupart de mes joueuses jouent dans le club du FAR, qui dispute la Ligue des champions. Elles ont besoin de cela pour la compétitivité, pour être dans le dur. Si elles font la LDC chaque année, elles vont gagner une expérience qui va leur servir en équipe nationale aussi », commente Reynald Pedros. 

Car à la CAN comme en Ligue des champions, certains pays se démarquent largement. Si le Maroc et le Sénégal s’éveillent, d’autres ont déjà franchi le niveau supérieur. En 2019, l’Afrique du Sud devenait le premier pays africain à lancer un championnat féminin semi-professionnel, de 16 équipes. Et les résultats ne se sont pas fait attendre. Les Mamelodi Sundowns, championnes nationales en 2021, ont été les premières vainqueurs de la Ligue des champions africaine, quelques mois avant le sacre des Banyana Banyana, surnom de la sélection, à la CAN. 

Un travail et des résultats qui créent de l’émulation. Le Maroc, qui a multiplié par six le budget annuel alloué au football féminin depuis 2020 pour atteindre six millions d’euros, espère atteindre les 90 000 licenciées en 2024. Avant de se rêver aux JO, les Marocaines auront rendez-vous à la Coupe du Monde, pour laquelle elles se sont directement qualifiées, comme toutes les demi-finalistes de la CAN. Le Sénégal et le Cameroun tenteront eux leur dernière chance lors des barrages intercontinentaux dès le 18 février prochain pour peut-être porter à six le nombre d’équipes africaines sur 32 participants, contre deux en 2019.

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