Les Dick, Kerr Ladies en 1923
Le Livre Les anecdotes historiques du football féminin, de Thibault Rabeux, revient sur certains des événements les plus connus du football féminin pour nous en raconter les secrets. Chaque samedi, pendant 5 semaines, retrouvez des extraits de l’ouvrage sur L’Équipière.
Votre football, le préférez-vous au féminin ou au masculin ? La comparaison entre les deux facettes de cette même discipline revient souvent, accompagnée de ses sempiternels arguments supposés les départager. Les amateurs de football féminin l’affirment : « Les joueuses simulent moins sur le terrain. Leur jeu est plus technique ! » Ce à quoi les supporters du camp adverse rétorquent : « Les femmes courent moins vite, frappent moins fort, et les gardiennes de buts sont nulles. » Des arguments recevables pour certains, qui divisent une communauté pourtant amoureuse d’une seule et même discipline.
Il y a quelques années, les détracteurs du football féminin ont même trouvé l’imparable argument pour décrédibiliser leurs adversaires : les défaites des équipes féminines professionnelles face aux formations masculines de jeunes. La plus retentissante d’entre elles étant bien évidemment la débâcle des Américaines face aux joueurs de Dallas des moins de quinze ans le 2 avril 2017. Un revers cinq buts à deux relayé d’innombrable fois dans des articles de presse ou sur les réseaux sociaux. Et des défaites de ce type, il y en a eu d’autres. L’équipe nationale féminine australienne a perdu sept à zéro face aux U-15 masculins des Newcastle Jets en 2016. Les Brésiliennes se sont inclinées six à zéro contre les U-16 de Gremio en 2021 ; l’Olympique lyonnais a perdu trois à deux face à ses homologues masculins des moins de seize ans la même année…
L’objectif de ce présent chapitre n’est pas de justifier ces revers, mais de rappeler que les matches mixtes ne datent pas d’hier, et qu’ils n’ont pas toujours tourné en la faveur des hommes.
Comme vous le savez peut-être, l’éclosion du football féminin nous vient d’Angleterre, en pleine Première Guerre mondiale. Alors que les hommes sont au front, les femmes prennent le relais dans les usines pour y fabriquer obus, munitions et autres équipements militaires. Soumises à des conditions de travail exténuantes, celles que l’on surnomment alors « Munitionnettes » se voient offrir des moments de répit. Des activités récréatives leur sont proposées, parmi lesquelles figurent le football. Très vite, pratiquement toutes les usines du Royaume-Uni optent pour cette distraction et s’arment de leur propre équipe féminine.
Un bulletin d’usine britannique publié en juin 1917 intitulé « Playing the game » témoigne de l’engouement des femmes pour le ballon rond. « Qui pouvait imaginer, il y a deux ans à peine, que les femmes puissent jouer au football. Mais les temps changent et nous changeons avec le temps […] Dans leur effort déterminé pour sauver leur pays, les femmes n’ont pas seulement supporté sur leurs épaules le travail des hommes, mais aussi leurs passe-temps et leurs récréations. »
Encouragées à participer à des œuvres de charité pour récolter des fonds, les ouvrières de l’usine Dick, Kerr & Co basée à Preston dans le nord de l’Angleterre déclinent l’idée d’un concert caritatif pour privilégier l’organisation d’un match de football. C’est ainsi que le jour de Noël 1917, l’équipe fraîchement créée des Dick, Kerr Ladies affronte celle de l’usine voisine d’Arundel Coulthard devant 10 000 spectateurs réunis au Deepdale Stadium de Preston. Une rencontre qui aurait rapporté environ 50 000£ au profit des soldats blessés !
Entre 1917 et le début des années 1920, les matches caritatifs de football féminin se succèdent. Les rencontres opposent généralement des athlètes du même sexe, mais certains matches mixtes sont aussi au programme.
Le 19 septembre 1917, The Portsmouth Ladies Football Club affronte à Reading dans le sud de l’Angleterre une formation composée de soldats canadiens convalescents. Afin d’équilibrer les débats, les hommes doivent jouer les mains attachées dans le dos, à l’exception du gardien de but autorisé à en utiliser une des deux. Un handicap trop lourd qui permet aux ouvrières de s’imposer sur le score de huit buts à cinq. Au fil des rencontres, la brillante capitaine de Portsmouth Ada Anscombe attise les convoitises. Dans son ouvrage « Football’s Strangest Matches », Andrew Ward raconte que la jeune anglaise était qualifiée de « meilleure joueuse du pays » par le journal The Portsmouth Football Mail. Le titre de presse prétend même qu’une équipe masculine aurait proposé deux de ses joueurs en échange d’Anscombe. Une transaction supposément refusée par la Fédération anglaise.
Au début des années vingt, le football féminin et sa locomotive des Dick, Kerr Ladies atteignent leur apogée au Royaume-Uni. Tout en continuant de travailler à temps plein dans les usines, les filles de Preston réunissent près de 900 000 spectateurs dans les stades au cours de l’année 1921 ! Et ce n’est pas l’interdiction du football féminin votée par la Fédération anglaise le 5 décembre de la même année qui stoppe la dynamique. Les femmes n’ayant plus le droit d’utiliser les terrains des clubs membres de la Fédération, elles s’exportent à l’étranger.
Au début des années vingt, le football féminin et sa locomotive des Dick, Kerr Ladies atteignent leur apogée au Royaume-Uni. Tout en continuant de travailler à temps plein dans les usines, les filles de Preston réunissent près de 900 000 spectateurs dans les stades au cours de l’année 1921 ! Et ce n’est pas l’interdiction du football féminin votée par la Fédération anglaise le 5 décembre de la même année qui stoppe la dynamique. Les femmes n’ayant plus le droit d’utiliser les terrains des clubs membres de la Fédération, elles s’exportent à l’étranger.
Le 22 septembre 1922, l’équipe des Dick, Kerr Ladies part en tournée aux États-Unis pour y disputer une série de matches face à des clubs masculins. Les Munitionnettes jouent à New-York, Washington, Philadelphie ou encore Baltimore devant des foules pouvant atteindre 8 500 spectateurs. En l’espace de neuf semaines, elles disputent neuf rencontres mixtes pour un bilan honorable de trois défaites, trois matches nuls et trois victoires. La plus remarquable étant celle obtenue à New-York face à l’équipe masculine locale sur le score de huit buts à quatre.
Au cours de ces duels hommes – femmes, aucune règle supposée rééquilibrer les débats ne s’applique. Les joueurs américains n’ont ni les mains liées, ni les yeux bandés ou autre handicap du même genre. Mieux encore, l’historien et archiviste anglais Colin Jose explique dans un article publié sur le site soccerhistoryusa.org que les Dick, Kerr Ladies n’ont pas joué « des équipes masculines ordinaires, mais quelques-unes des toutes meilleures formations professionnelles de l’American Soccer League. » Autrement dit l’élite du football masculin aux États-Unis.
Découvrez le livre intégral ici : Les anecdotes historiques du football féminin
Le journaliste Levi Wilcox, présent au stade à Philadelphie lors du dernier match des Britanniques face à l’équipe locale, tempère. Il explique dans son rapport de la rencontre que les hommes n’ont pas mis autant d’engagement que face à leurs adversaires masculins habituels. Une affirmation contrebalancée par celle du gardien de but Peter Renzulli, adversaire des Anglaises au cours de leur tournée américaine : « Nous étions les champions nationaux, et nous avons eu un mal de chien à les battre. » Les visiteuses ayant marqué au moins deux fois dans chacun de leur match, le constat était certainement partagé par d’autres joueurs…
Presque un siècle avant la défaite des championnes du monde américaines face aux jeunes garçons de Dallas, des Munitionnettes reconverties en footballeuses corrigeaient des équipes masculines professionnelles sur leur propre terrain. Suffisant pour en déduire que les femmes étaient plus habiles balle au pied que les hommes ? Aucune réponse n’est attendue, car la question n’a pas lieu d’être. Aujourd’hui, comme il y a cent ans.