L’image de Brandi Chastain laissant apparaître sa brassière en finale de la Coupe du monde est connue de tous. Voici l’histoire cachée derrière ce mythe.
Pourrions-nous écrire un livre entièrement dédié à la séance de tirs au but de la finale de la Coupe du monde 1999 entre les États-Unis et la Chine ? Pour répondre partiellement à cette question, je dirais qu’il y a suffisamment de matière pour y consacrer au moins deux articles sur le site de L’Équipière !
S’il est avéré que Briana Scurry s’est bel et bien aidée tout au long de la séance de tirs au but, il n’en restait pas moins que les tireuses américaines devaient convertir leur tir de pénalité respectif. Une tâche loin d’être gagnée d’avance au regard de certains éléments.
Michelle Akers, l’une des meilleures frappeuses américaines qui avait notamment marqué sur penalty lors de la demi-finale face au Brésil, n’a pas pu participer à la séance de tirs au but face à la Chine. Déshydratée et à bout de force, Akers a dû quitter ses partenaires en cours de match pour recevoir des soins. Mia Hamm, de son côté, souffrait d’un manque de confiance criant. La star américaine qui n’avait plus marqué depuis quatre matches a tenté de se soustraire à l’exercice périlleux des tirs au but en demandant à Lauren Gregg, l’entraîneur adjointe, de la remplacer par Shannon MacMillan. Gregg lui aurait alors répondu qu’il était trop tard pour changer l’ordre des tireuses qui avait déjà été établi.
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Pour couronner le tout, la cinquième tireuse américaine, Brandi Chastain, se sentait de son propre aveu « intimidée » par la gardienne chinoise Gao Hong. Une appréhension aux origines pas si lointaines puisque trois mois plus tôt, le 25 avril 1999, Chine et États-Unis s’étaient affrontés lors d’un match amical dans le New Jersey. Lors de cette rencontre perdue par les Américaines (1-2), Brandi Chastain avait frappé un penalty du pied droit sur la barre transversale du but gardé par cette même Gao Hong.
Un échec qui avait sans doute poussé Lauren Gregg à placer initialement Brandi Chastain en sixième position des tireuses pour la séance qui allait sceller le sort du Mondial 1999. Un choix révisé in extremis par le sélectionneur américain Tony DiCicco qui a replacé Chastain en tant que cinquième frappeuse.
« Tony (DiCicco) est venu me voir et m’a dit “OK, tu vas tirer un penalty”, raconte Brandi Chastain au site britannique The Telegraph dans un article publié en mars 2020. Il a posé sa main sur mon épaule et m’a dit, “Tu vas le tirer du pied gauche”. Puis il a décampé à toute vitesse comme Bip Bip dans le dessin-animé. » Chastain confia plus tard qu’elle n’avait jusqu’alors jamais frappé un penalty du pied gauche. Mais alors le sélectionneur des Stars and Stripes aurait-il perdu la raison au moment d’ordonner à sa joueuse de frapper de son « mauvais » pied ?
Pas totalement. En réalité, et même si le pari était risqué, Brandi Chastain n’avait pas vraiment de « mauvais » pied puisqu’elle était la seule joueuse réellement ambidextre de l’équipe américaine. Dans sa jeunesse, elle frappait déjà des deux pieds lorsqu’elle s’entraînait à taper la balle contre un mur sous les yeux de son père. « J’ai toujours été ambidextre, explique la double championne du monde au site The Guardian. Utiliser les deux pieds a toujours été quelque chose de naturel pour moi. Lorsque je me suis blessée à la cheville droite, j’utilisais beaucoup plus mon pied gauche pour conduire mon ballon. »
Une faculté précieuse que Tony DiCicco avait longuement analysée lors des séances d’entraînement. « Ses penalties frappés du gauche étaient plus précis et plus difficiles à lire que ceux frappés du droit qui partaient toujours sur le côté gauche du gardien », constatait le sélectionneur américain. Ce dernier s’inquiétait d’ailleurs du fait que les Chinois aient pu scruter leurs séances de tirs au but lors des entraînements. Inciter Chastain à frapper du gauche était par conséquent un habile stratagème pour déstabiliser la gardienne adverse.
Cet article est issu du livre Les Anecdotes historiques du football féminin de Thibault Rabeux.
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Outre ce malicieux conseil, DiCicco a également fait preuve de génie en modifiant l’ordre initial des tireuses établi par son assistante Lauren Gregg. A la tête de la sélection américaine depuis 1994, il avait parfaitement cerné la personnalité de Chastain, que ses coéquipières surnommaient affectueusement « Hollywood ». Un curieux sobriquet dont l’origine est rattachée au caractère de la joueuse. « Brandi veut porter la responsabilité sur ses épaules, explique Tony DiCicco dans une interview publiée sur le site The Guardian. Certains joueurs ont peur de l’échec, ils ne veulent pas endosser ce rôle. Brandi le veut. Elle veut être sous les projecteurs. C’est le genre de joueuses que vous voulez pour une séance de tirs au but. »
Comme vous le savez sûrement, l’audace de DiCicco a payé. La probabilité pour que « Hollywood » ait à frapper le tir au but décisif était faible, mais le destin en a pourtant décidé ainsi. Chastain a vaincu le signe indien en crucifiant Gao Hong d’une frappe assurée du gauche en pleine lucarne. L’héroïne du match est par la suite doublement entrée dans l’histoire en offrant au football féminin sa plus célèbre image : celle d’une joueuse genoux à terre, maillot en main, laissant apparaître sa brassière aux yeux des 40 millions de téléspectateurs américains visionnant la finale. Mais cette histoire, vous la connaissez déjà.
Sources
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« Brandi Chastain: How USA star’s weaker left foot ‘secured future of women’s soccer’ at 1999 World Cup » – telegraph.co.uk, Molly McElwee – 30 mars 2020
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« Brandi Chastain on 1999 penalty: ‘All your hopes and fears in one moment’ » – theguardian.com, Ben Lyttleton – 30 juin 2015
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« Why Women’s World Cup champion Brandi Chastain bared her bra » – bbc.com, Alison Gee – 13 juillet 2014
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« U.S. Women Rule the World » – washingtonpost.com, Amy Shipley – 11 juillet 1999
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« USWNT Results: 1995-1999 » – ussoccerhistory.org, Ed Farnsworth