Des joueuses du club Corinthians en 2001 – ©Ag. Corinthians
La saison 2001 du championnat de São Paulo a fait de la « beauté » des joueuses un critère de sélection. De quoi en faire le championnat le plus sexiste de l’histoire ?
« Nous devons essayer de lier football et féminité. » Eduardo José Farah, le président de la Fédération de football de São Paulo (FPF), donne le ton à l’aube de la saison 2001 du championnat local. Car comme vous le savez peut-être, chaque État au Brésil possède son propre championnat. C’est la raison pour laquelle il existe depuis 1984 une ligue de football féminine regroupant les principaux clubs de l’État de São Paulo.
Soucieux de « montrer le football féminin sous un jour nouveau » et d’attirer un public masculin dans les stades, le président de la FPF impose aux équipes de nouveaux critères de sélection pour leurs joueuses. À l’orée de la saison 2001, le talent ne suffit plus, le physique doit suivre aussi ! « Nous aurons un championnat techniquement bon et beau », explique Eduardo José Farah au journal brésilien Folha de S. Paulo. Mais à en croire le récit de la sélection des joueuses, le championnat s’annonce davantage « beau » que « bon »…
« Je pense que ma beauté m’a aidée. J’ai à peine
touché le ballon que j’ai été sélectionnée. »
Les épreuves qualificatives pour intégrer la ligue pauliste se déroulent sur quatre jours à la fin du mois de septembre 2001. Entre 1 200 et 1 600 filles sont présentes au stade Ícaro-de-Castro-Melo de São Paulo. Leur objectif : intégrer l’une des douze équipes qui disputera le championnat dont le coup d’envoi est prévu le mois suivant. Au cours de la sélection, une joueuse sort du lot. Une certaine Talita Cassiano décrite comme « jolie, gentille et bonne oratrice » par un journaliste dépêché sur place. Le dernier qualificatif étant justifié par les nombreuses interviews données le jour même par la jeune femme de 20 ans.
« Il existe un cliché disant que la femme qui joue au football n’est pas féminine. Ce n’est pas vrai », s’enthousiasme Hélio Viana, président de l’un des sponsors du championnat, en désignant l’étudiante. Consciente de la situation, Talita Cassiano comprend que ce n’est pas son talent qui a tapé dans l’œil des membres du comité technique en charge du recrutement. « Je pense que ma beauté m’a aidée, reconnaît la loquace brésilienne. J’ai à peine touché le ballon que j’ai été sélectionnée. » La jeune milieu de terrain l’affirme : de nombreuses filles talentueuses n’ont pas été retenues car elles n’étaient pas « jolies ».
Tout aussi réaliste, mais visiblement moins gâtée par dame Nature, Lilian Kátia est recalée dès les sélections malgré son passé de footballeuse. « J’ai bien joué, j’ai fait des efforts […] Il y a des filles ici qui ne savent pas jouer mais qui ont été retenues », se lamente l’étudiante expliquant pratiquer le football depuis ses 13 ans.
Un document distribué par les organisateurs du championnat de São Paulo en 2001 nous éclaire quant aux critères physiques exigés pour espérer y participer. La principale modèle mise en avant dans le prospectus est une femme élancée à la longue chevelure blonde, bombant sa poitrine via une cambrure peu naturelle. Sa raideur sur le cliché la montrant en pleine séance de jongles balle au pied suggère que la « miss » devait davantage fréquenter les podiums que les terrains de foot…
Le document révèle également que, pour la saison 2001, un équipementier sportif bien connu s’occupe de fournir shorts, maillots et crampons ; de sorte à ce que les joueuses puissent être « belles et séduisantes, aussi sur le terrain. » Mieux encore, le championnat doit être retransmis en direct sur les télévisions locales et étrangères afin que « la beauté de la femme brésilienne soit, une fois encore, connue du monde entier. » La double page de présentation s’achève par un slogan en lettres majuscules expliquant que « jamais la femme brésilienne qui joue au football n’aura été autant valorisée. »
Cet article est issu du livre Les Anecdotes historiques du football féminin de Thibault Rabeux.
Découvrez le livre intégral ici : Les anecdotes historiques du football féminin
Liése Brancão, ancienne joueuse brésilienne de Palmeiras, explique dans une interview publiée sur le site UOL Esporte que la sélection basée sur le physique a mis de côté des filles de grand talent. Dans ces conditions, comment ne pas penser à Sissi ? L’une des meilleures joueuses de l’histoire de la sélection nationale brésilienne. La légendaire numéro dix reconnaissable notamment à son crâne rasé a d’ailleurs quitté le Brésil en 2001 pour rejoindre les États-Unis. Un choix logique quand on sait que Renato Duprat, vice-président de la FPF à l’époque, déclarait que les femmes aux cheveux rasés ne pouvaient pas évoluer dans le championnat pauliste !
« À ce moment-là, l’affaire fut peu médiatisée car le football féminin était méconnu, raconte Liése Brancão. Mais nous trouvions déjà cela absurde à l’époque. » Contactée en 2017 par le site UOL Esporte, la Fédération de football de São Paulo reconnaît que le tournoi de 2001 avait été « une mauvaise expérience » ; tout en précisant qu’une autre administration était aux commandes au moment des faits. Une affirmation exacte, puisqu’Eduardo José Farah, le président de la FPF en 2001, a démissionné deux ans plus tard. Doit-on en conclure que son souhait de « montrer le football féminin sous un jour nouveau » en privilégiant le « beau » au « bon » a échoué ? Probable…
