
Manon Heil est l’une des rares joueuses de D1 Arkema à être mère- ©Nathalie Quérouil
Alex Morgan, Sydney Leroux ou encore Crystal Dunn, nombreuses sont les internationales à avoir donné la vie en plein milieu de leur carrière outre-Atlantique. Alors qu’en 2020 la FIFA annonçait de nouvelles mesures pour accompagner la maternité dans le football, en France comme ailleurs, beaucoup préfèrent encore attendre la fin de leur carrière pour devenir mère.
Une équation complexe
Le 14 janvier dernier était un grand jour pour Amel Majri. Après 471 jours d’absence, la joueuse de 29 ans réapparaissait sur un terrain de football. Une énième apparition sous le maillot de l’OL, son club de toujours, mais une sensation bien particulière. Pour ce déplacement en Charente, l’ailière de l’OL a emporté dans ses bagages une supportrice surprise, sa fille Maryam, qui a vu le jour en juillet 2022. Lourdement blessée en octobre 2021, elle annonçait trois mois plus tard, à la surprise générale, sa première grossesse. Une grande première pour une internationale française en activité.
Si d’autres grands noms du football féminin hexagonal comme Louisa Nécib, Sabrina Delannoy ou encore Jessica Houara d’Hommeaux, ont avant elle donné la vie, toutes faisaient le choix de raccrocher les crampons avant. Une récurrence qui met en évidence la grande difficulté de concilier une carrière professionnelle et une grossesse dans l’Hexagone.
À lire aussi : D1 Arkema: Amel Majri prolonge avec l’OL
Un défi à tous les niveaux
Pour beaucoup, reporter son projet d’enfant est d’abord une question contractuelle. « Les joueuses n’osent pas par rapport aux contrats avec les clubs, elles ont peur d’avoir des problèmes, qu’on résilie leur contrat », explique Claudine Falone Meffometou, joueuse au FC Fleury 91 et maman depuis mai 2020.
Pourtant, la même année, la FIFA avait annoncé de nouvelles réglementations pour encadrer la maternité des joueuses pour les 211 fédérations membres, introduisant notamment : un congé maternité de 14 semaines obligatoires et rémunéré au minimum aux deux tiers du salaire contractuel, la possibilité de recruter un « joker médical » en dehors de la période de transferts, la réintégration obligatoire de la joueuse au sein du club à l’issue du congé maternité et la mise en place d’un suivi médical et physique adapté.
Si ces nouvelles règles devaient permettre d’avancer considérablement sur le sujet de la maternité dans le football, tous les pays et clubs ne les appliquent pas encore malgré les sanctions prévues par l’instance mondiale. En France, une réflexion est actuellement menée par l’Union Nationale des Footballeurs Professionnels (UNFP). Le syndicat cherche aujourd’hui à mettre en place un cadre social et juridique autour de la maternité des joueuses. Camille Delzant, conseillère à la présidence de l’UNFP, livre une analyse lucide. « Aujourd’hui, ces mesures ne sont pas encore mises en place mais on travaille dessus. Après, s’il y avait eu une volonté forte de s’imprégner du sujet, on aurait pu trouver une solution à plus court terme pour appliquer ces réglementations plus rapidement.»
Un travail comme les autres ?
Pour l’heure, certains clubs se limitent donc à respecter le droit du travail commun. En d’autres termes, les joueuses ont le même statut que toutes les femmes enceintes en CDD. Un cadre qui « n’est pas adapté à une durée d’indisponibilité qui est plus longue quand votre corps est votre outil de travail », explique la juriste de l’UNFP.
En janvier dernier, dans une tribune publiée par la plateforme The Players’ Tribune, Sara Björk Gunnarsdottir a accusé l’Olympique lyonnais, où elle a évolué durant deux saisons, de ne pas lui avoir versé l’intégralité de son salaire durant sa grossesse, entre avril et novembre 2021. En saisissant le Tribunal du football de la FIFA, la joueuse a obtenu gain de cause puisque le club français a été condamné à lui verser près 82 000€ en mai 2022. Sur Twitter, le syndicat mondial des joueurs (Fifpro) a félicité Sara Björk Gunnarsdottir d’avoir obtenu « la première décision de ce type depuis l’entrée en vigueur du règlement de la FIFA sur la maternité en janvier 2021 ».
Dans ce contexte, l’accord collectif, qui sera négocié avec les clubs, visera justement à établir un cadre juridique et social clair. Comme l’explique Camille Delzant, « le principal enjeu de ces négociations est de permettre aux joueuses de bénéficier d’un maintien de salaire, donc une indemnisation et une sécurisation financière, d’un cadre social et logistique que le club mettra à disposition pour les joueuses ». Si cet accord devrait entrer en vigueur en juillet 2023, le combat doit également être mené sur les terrains.
Former à accompagner
Outre la bataille juridique, la grossesse est aussi un challenge physique. Un corps qui change, un rythme de vie bousculé, la grossesse est évidemment un énorme défi physique et mental pour une footballeuse. Entre l’interruption et la reprise d’activité, la joueuse peut manquer plusieurs mois voire une année de compétition selon son état de forme. Une éternité pour des athlètes habituées à performer chaque semaine, qui doivent donc être accompagnées au plus près tout au long de leur grossesse pour faciliter leur retour aux affaires.
Pour Alexandre Marles, ancien préparateur physique des équipes jeunes de l’équipe de France (2010-2013) et directeur de la performance à l’Olympique Lyonnais (2014-2017), l’accompagnement des joueuses fait justement défaut en France. « Aujourd’hui, il y a un réel besoin de formation sur la grossesse dans le milieu du sport, parce qu’il n’y a pas assez de personnes spécialisées sur le sujet pour aider au mieux les joueuses », déplore-t-il. Un accompagnement dans lequel le staff médical doit être omniprésent, durant et après grossesse, pour juger des capacités de la joueuse à effectuer des exercices à différentes intensités. Sur ses conseils, les préparateurs physiques peuvent ainsi mettre en place des entraînements sur-mesure. A l’heure actuelle, ce suivi s’effectue souvent en dehors des structures du club, faute de spécialisation des soignants sur ce sujet, qui reste encore marginal aujourd’hui.
D’autres aspects doivent aussi être surveillés. « Il y a également un suivi nutritionnel et diététique, au moins hebdomadaire, à faire pour accompagner au mieux les joueuses », affirme t-il. Déjà centrale en temps normal, l’alimentation d’une joueuse devient elle aussi primordiale pour permettre à la future mère de pourvoir aux besoins de l’enfant tout en maîtrisant sa prise de poids. En cours de grossesse, celle-ci est plus facilement en proie à certaines pathologies comme le diabète gestationnel ou encore l’hypertension artérielle.
Cette prise en compte transverse, doit tendre vers un seul objectif : reprendre dans les meilleurs délais et les meilleures conditions.
Un nouveau mode de vie
Dans cette équation complexe, vient s’ajouter un autre facteur, l’organisation. Dans la vie d’un athlète, rythmée par les entraînements et les multiples déplacements, conjuguer ces différents rôles peut s’avérer complexe. Charlotte Fernandes, elle aussi joueuse à Fleury et maman de deux garçons, y trouve son équilibre. « En semaine ce n’est pas compliqué, j’ai entraînement tous les jours en début d’après-midi. Du coup je peux les déposer tous les matins à l’école et les récupérer à 16h30. De ce côté-là, je peux vraiment profiter avec mes enfants. »
Un réalité différente de celles qui ont des enfants en bas âge. « J’ai deux coéquipières qui ont des jeunes bébés, donc elles discutaient avec les dirigeants pour trouver une nounou ou une assistante maternelle 2-3h par jour, qui puisse prendre en charge leurs bébés le temps des séances d’entraînement.»
Et cette vie à 100 à l’heure, n’offre que peu de place pour les week-ends en famille. « Après pour les déplacements ça m’oblige à partir la veille du match et rentrer le soir tard donc j’ai la chance d’avoir mon conjoint qui prend le relai […] Dans certains pays, ils font en sorte de pouvoir emmener les enfants lors des déplacements. Moi, je sais que quand je suis en déplacement, le fait de ne pas avoir mes enfants avec moi, ça me permet de rester concentrée, dans ma bulle, d’être un peu comme les autres.»
Autant d’éléments qui complexifient un choix que les joueuses espèrent ne plus avoir à faire entre leur carrière et leur vie personnelle.