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« On n’a pas besoin de boules car nous savons nous en servir »

Par 03/06/2019 22:00 mai 6th, 2020 No Comments
La vidéo de publicité de l’équipe allemande s’attaque aux préjugés sur le foot féminin… et fait le buzz sur les réseaux sociaux. L’occasion pour les joueuses d’attirer l’attention sur des lacunes dans leur Fédération.

Elle est provocatrice, amusante et sérieuse à la fois : la vidéo de publicité de l’équipe allemande de foot féminin fait le buzz sur les réseaux sociaux depuis sa sortie ce mardi, 15 mai 2019. Produit par le sponsor de l’équipe, la Commerzbank, et diffusé pour la première fois mardi soir, juste avant le journal de 20 heures sur l’ARD1, la chaîne principale de télévision allemande. Ce clip qui a été vu plus que 1,32 millions de fois2, rappelle de manière offensive l’arrivée de la coupe du monde du football féminin qui débute le 7 juin en France. Et plus encore, il semble qu’à travers cette vidéo les allemandes souhaitent rappeler plus globalement l’existence du football féminin allemand.
Il est vrai que par rapport au nombre de titres que la Mannschaft féminine a remportés jusqu’ici, à savoir huit coupes d’Europe, deux coupes du monde et une médaille d’or aux Jeux Olympiques pour en nommer que quelques-uns, leur popularité reste limitée.

« Alors, tu sais comment je m’appelle ? »

Le clip commence par une simple question bien provocatrice, posée par la capitaine de l’équipe, Alexandra Popp  qui interroge un spectateur : « Alors, tu sais comment je m’appelle ? ». Une question à laquelle la plupart des spectateurs ont certainement dû répondre par la négative.
Se référant à des petites anecdotes du foot allemand, la vidéo continue à s’attaquer aux préjugés dont fait l’objet le foot féminin et les femmes en général. Les joueuses critiquent de manière ironique mais pointue le sexisme qui régnait et qui règne malheureusement encore trop souvent aujourd’hui dans le foot féminin.
Ainsi, il est par exemple fait référence à la récompense que recevait l’équipe féminine de football lors de sa première victoire de la Coupe d’Europe en 1989. Il s’agissait – et ce n’est pas une blague ! – d’un service à café.  Cela peut paraître incroyable, mais étant à l’époque seulement amatrices, les joueuses n’avaient pas le droit à une récompense pécuniaire ce qui conduisait la Fédération allemande du Football à leur offrir ce fameux service à café3 – qui a fait l’objet de vives discussions et qui était certainement pas l’idée la plus progressiste en termes d’émancipation de la femme…

En finir avec les clichés et préjugés

Et si ce n’était que cela !
La vidéo énumère des commentaires et des clichés auxquels aucune femme et aucune footballeuse n’ont pu échapper : « Les femmes, c’est pour avoir des enfants », « Les femmes, leur terrain c’est plutôt la buanderie », « Comme du foot amateur – mais au ralenti »- des remarques auxquelles l’équipe allemande donne une réponse claire et nette :« On n’a pas besoin de couilles, car nous, nous savons très bien nous en servir.4 » Une phrase osée, directe, frappante qui fait référence à une interview de l’ancien gardien de l’équipe allemande de foot masculin, Oliver Kahn. Interviewé suite à une défaite de son club, le Bayern Munich, en 2003 contre Schalke 04, Kahn avait expliqué et répété au journaliste que son équipe avait « besoin de couilles ! »5. Une phrase qui dans les réseaux des fans du football allemand était vite devenue virale à l’époque.
Mais les temps où l’on avait besoin de couilles pour être performant sont terminés. Plus besoin de couilles pour jouer au foot, plus besoin d’exemples et d’idoles masculins. Le temps est venu de revendiquer une attention adéquate, une visibilité appropriée et une reconnaissance juste pour les efforts faites par les équipes de foot féminin, équipes motivées et ambitieuses. Le message des allemandes sur ce point ne pourrait pas être plus clair : « Vous n’avez pas à retenir nos visages, mais retenez une chose : ce que nous voulons, c’est jouer. Jouer notre jeu à nous. »

Le foot, jeu de femmes – cette vision semble encore loin. Alors qu’en 2011, lorsque l’Allemagne accueillait la coupe du monde féminine, une montée d’intérêt pour la pratique féminine de ce sport pouvait être constatée, le foot féminin reste encore très peu visible en Allemagne. Entre médiatisation lacunaire et matchs à des horaires peu accessibles, le manque de soutien est aussi dénoncé au sein même de la Fédération allemande de football.

La Fédération allemande de football dans l’obligation de soutenir et mieux visibiliser le foot féminin

Il y a quelques semaines, la gardienne de l’équipe, Almuth Schult, avait ouvertement critiqué la Fédération pour son manque d’initiative et de soutien au volet féminin, soulignant notamment qu’il était difficile pour les joueuses de s’opposer aux préjugés dont fait l’objet le football féminin, et que même à l’intérieur de la Fédération il fallait lutter pour une reconnaissance adéquate6. Une critique dure et offensive qui colle parfaitement avec le message de la vidéo publiée mardi.
Il semble que les joueuses allemandes aient décidé de ne plus retenir leur mécontentement face à la situation actuelle du football féminin en Allemagne. Des améliorations en termes d’égalité homme-femme dans le football, les Allemands peuvent prendre exemple sur d’autres nations : la Fédération de football norvégienne par exemple a décidé en 2017 d’ajuster les récompenses des footballeuses féminines sur celles des hommes pour les prestations au niveau national. L’équipe masculine norvégienne avait d’ailleurs soutenu cette initiative en contribuant financièrement à cet ajustement7.

En Allemagne, les matchs de première division n’attirent qu’entre 230 et 1.800 spectateurs8, contrairement aux 42.985 spectateurs qui – en moyenne – assistent en aux matchs masculins9. Même pour la 4ème division masculine, le nombre de spectateurs reste plus important qu’en première division féminine…10 Une question de qualité de jeu ? De niveau ? De professionnalisme ? Certainement pas. Simplement une question de visibilité limitée et de moyens restreints qui sont attribués au développement du football féminin.

Pas la première initiative provocatrice voulant éveiller l’intérêt pour le foot féminin

Pendant la coupe du monde en 2011, il y avait une certaine volonté en Allemagne de rendre le foot féminin plus visible. Cette volonté, depuis endormie, semble se faire réveiller par le nouveau clip des footballeuses allemandes – un réveil piquant, drôle et direct. La vidéo se distingue clairement d’autres spots de promotion pour la Coupe du Monde Féminine de football telle que la vidéo de l’équipe américaine. Bien que cette dernière soulève certes la technicité, la vitesse et la qualité du foot féminin, elle n’est de loin pas aussi agressive et osée que le clip des allemandes.

La vidéo de la Mannschaft féminine et de leur sélectionneure Martina Voss Tecklenburg n’est par contre pas la première initiative provocatrice par laquelle des footballeuses essayent d’éveiller l’intérêt pour leur discipline : en 2009, quatre joueuses françaises, Gaëtane Thiney, Elodie Thomis, Corinne Franco et Sarah Bouhaddi, s’étaient laissées prendre en photo, nues, par le journal « Gala » afin de réveiller les médias et d’« attirer l’attention sur leur sport [et] leurs performances »11. Soutenu par toute l’équipe de France féminine à l’époque, ce projet avait – malgré des échos mitigés – eu un certain succès à ce qu’il réussissait à faire parler les médias sportifs français du foot féminin pendant un moment12.

Mais est-il vraiment nécessaire de jouer ainsi avec les clichés existants en faisant usage – comme si souvent dans les publicités – du corps féminin afin d’attirer de l’attention ? La vidéo des allemandes, alors qu’elle fait bel et bien des allusions au corps féminin, s’abstient de montrer beaucoup de peau et réussit quand même à attirer l’attention et à surprendre les gens. Extrêmement bien reçu en Allemagne, ou le nombre de vues et de commentaires de soutien ne cesse d’augmenter, cette vidéo est un premier message fort qui sera – on l’espère – suivi par une belle performance des allemandes pendant la Coupe du Monde.

Sources
​1. https://www.augsburger-allgemeine.de/sport/fussball/Clip-der-DFB-Frauen-Wir-haben-keine-Eier-wir-haben-Pferdeschwaenze-id54323156.html.
2.http://www.sports.fr/football/coupe-du-monde-feminine/articles/cette-video-geniale-devenue-virale-a-la-veille-du-mondial-feminin-2473330/?fbclid=IwAR3yUEbgbId9KbHTIJTNSw1u-MNfT7P07F-VWF_w1HX-01nkVc6cp3-sm0k.
3. https://www.spiegel.de/panorama/fussball-nationalspielerinnen-und-ewig-lockt-das-kaffeeservice-a-772715.html.
4. Cette traduction n’est par la traduction littérale de la phrase mais a été choisi afin de traduire le double sens impliqué. La traduction littérale reste pourtant bien osée. Littéralement, la phrase se traduirait par „On n’a pas besoin de couilles, car on a des queues de cheval“ et fait ainsi référence au double sens que peut avoir l‘expression „queue de cheval“ signifiant à la fois une coiffure et le (grand) membre des chevaux…5. https://www.dailymotion.com/video/x13z2ys.
6. https://www.spiegel.de/sport/fussball/nationaltorhueterin-almuth-schult-prangert-haltung-im-dfb-an-a-1265127.html?fbclid=IwAR2efQGwoS_zQEkh1iFERvEHq5dma5bfadXcfoo8vQ4zTcA_1oiCt485qhw.
7. https://www.spiegel.de/sport/fussball/norwegen-fussballverband-bezahlt-frauen-und-maenner-gleich-a-1171772.html.

8. https://www.fupa.net/liga/bundesliga/zuschauer. 9. 
https://www.watson.de/sport/fußball/593438664-frauen-fussball-zuschauerrekord-in-spanien-zeigt-was-deutschland-falsch-macht.
10. https://www.gala.fr/l_actu/news_de_stars/football_feminin_elles_posent_nues_pour_reveiller_les_medias_175748
.
11. Idem.

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