©photo : Stéphanie Spielmann
Connue pour ses plages paradisiaques, la Polynésie française est aussi une terre de football. L’Équipière s’est entretenu avec Stéphanie Spielmann, ancienne joueuse de D1, en charge du développement de la pratique au sein de la fédération polynésienne de football depuis 2016.
Avec vingt-deux heures de vol et un décalage horaire de douze heures, la Polynésie Française est l’un des territoires ultramarins les plus distants de la métropole. Si Marama Vahirua s’est jadis illustré comme le meilleur footballeur de l’archipel, de jeunes filles peuvent aujourd’hui espérer assurer sa relève.
De l’ombre à la lumière, le renouveau du football Polynésien
Disséminées dans l’océan Pacifique, ce ne sont pas moins de 118 îles qui composent la Polynésie Française, étendue sur près de 2500 kilomètres. Malgré ses 280 000 habitants, la perle du Pacifique a connu une longue période d’arrêt du football féminin entre 2011 et 2015. « Par choix politique, tout a été arrêté en 2011. Les filles se sont redirigées vers le futsal car elles n’avaient que ça » explique Stéphanie Spielmann. Il y a 5 ans, en 2015, sur l’île principale de Tahiti, un championnat a revu le jour.
« En 2015, la FIFA nous mettait des amendes parce qu’on ne faisait rien pour le football féminin. Donc les clubs qui avaient des équipes de futsal ont créé des équipes de football “classique”, qui n’étaient pas vraiment comprises dans l’organisation des clubs. Le vrai tournant c’est 2016 ! Nous sommes allés discuter avec les clubs pour les pousser à développer les sections féminines » précise-t-elle.
Deux divisions existent depuis : une chez les seniors (Vahine) et une en U16 (Tamahine). « Nous avons progressé chaque année. On a commencé en 2015, l’année d’après nous avons créé un championnat U23. On jouait en football à 7. L’année suivante on a basculé en football à 8 et cette saison en football à 9. La saison prochaine, on inaugurera même un championnat U11 » ambitionne l’ancienne défenseure de Vendenheim.
Si l’île de Tahiti compte seulement 6 équipes en seniors, il existe au total près de 15 formations en Polynésie en incluant ses différentes îles : 5 équipes dans un championnat déclaré auprès de la fédération à Rurutu, 4 équipes à Raiatea et quelques équipes féminines dans Les Marquises.
Aujourd’hui, la fédération dénombre plus de 2000 joueuses licenciées. Ce chiffre monte même à plus de 2500 en incluant les arbitres et entraîneures. Des statistiques éloquentes dans des pays où le football n’est pas roi, derrière l’incontournable Va’a (ndlr : pirogue polynésienne) et le surf.
A l’heure actuelle, il n’y a même pas d’académie pour les garçons. C’est une chose que l’on a en tête mais pour l’instant, ce n’est pas réalisable
Le long chantier des jeunes
Consciente de l’importance de la formation dans l’évolution du football féminin local, la fédération Polynésienne entreprend de multiples initiatives à cet effet.
Lorsqu’on l’interroge sur l’académie ouverte en mars 2019 en Nouvelle-Calédonie par la FIFA, elle nourrit quelques regrets : « C’est une question que l’on s’est posé. En termes de licenciées, on est similaire, et nous avons une personne assignée au développement du football féminin. C’est un vrai coup de boost pour eux car pendant deux ans, tout est pris en charge par la FIFA ».
Toutefois, elle ne saurait se limiter à ce constat quelque peu amer. « Nous avons deux sections sportives féminines, une rattachée à la fédération, et l’autre à l’AS Tefana. L’académie reste un projet à moyen-long terme, mais à l’heure actuelle, il n’y a même pas d’académie pour les garçons. C’est une chose que l’on a en tête mais pour l’instant, ce n’est pas réalisable, sauf aide extérieure » relate-t-elle lucidement.
« Nos sections sportives fonctionnent comme un sport-études et sont ouvertes aux élèves de la 6ème à la 3ème, avec deux entraînements par semaine inclus dans l’emploi du temps. Certaines filles ont aussi accès à des sections sportives masculines, qui sont de fait, devenues mixtes » ajoute l’Alsacienne.
L’objectif final étant assurément d’intégrer un pôle espoir en métropole. « En 2015-2016, une première joueuse a intégré un pôle en métropole, à Strasbourg (ndlr : Kiani Wong, qui joue actuellement en D3 anglaise). L’année d’après Vaihei Samin a intégré le Pôle de Tours » énumère-t-elle avec satisfaction.
Le défi des sélections nationales
Si la Polynésie est, à l’instar des autres territoires d’Outre-Mer, une ligue rattachée à la FFF, c’est également une fédération à part entière. La fédération travaille sous l’égide de la FIFA, et est appuyée par la fédération française pour la formation des cadres.
Ainsi, les chantiers de Stéphanie Spielmann et la fédération ne sauraient se résumer aux championnats locaux. Un travail de longue haleine est fourni pour les sélections locales. En 2017-2018, l’équipe nationale U16 a disputé le tournoi de qualification pour la Coupe du Monde U17. La même année, elle participait au tournoi de l’OFC (Confédération Océanienne de Football), auquel participent notamment la Nouvelle-Zélande et jadis l’Australie.
« Je suis allée voir des filles dans les quartiers, dans d’autres sports qui avaient des affinités avec le ballon, mais qui n’étaient pas en club «
Pourtant, tout n’était pas gagné d’avance. « Ici, il n’y avait jamais eu de sélection de jeunes. C’était toujours une sélection senior. Quand je suis arrivée en 2016, au mois d’avril on devait envoyer une sélection U17 féminine aux Îles Cook pour se préparer aux éliminatoires de la coupe du Monde aux Samoa, et éviter de prendre une amende de la part de la FIFA. On avait 53 licenciées en U16 à l’époque, dont un grand nombre de débutantes. Je suis allée voir des filles dans les quartiers, dans d’autres sports qui avaient des affinités avec le ballon, mais qui n’étaient pas en club ». Preuve de la progression constante des formations locales, la sélection U19 a fini 3ème des qualifications en Coupe du Monde U20 l’an dernier.
En fin d’année 2019, l’archipel devait même accueillir à son tour le tournoi OFC U16, repoussé dans un premier temps en raison d’une épidémie régionale de rougeole et maintenant du COVID-19. Une décision devrait être prise le 2 juin pour décider du maintien du tournoi ou de la qualification d’office de la Nouvelle-Zélande.
Ces jeunes sont par ailleurs intégrées au projet de la sélection A, qui a participé aux dernières éditions de l’OFC Women’s Nations Cup (2018) et aux Jeux du Pacifique (2019). « Nous y sommes allés avec un groupe très jeune. Dans le système OFC, il n’y a qu’un qualifié pour la Coupe du Monde. Sachant que la Nouvelle-Zélande était à l’époque 18ème mondiale, on savait d’avance que l’on n’allait pas se qualifier. On a donc embarqué un maximum de jeunes pour leur faire prendre de l’expérience. On avait une moyenne d’âge de 19 ans ».
Loin des Bleues, loin du cœur ?
Si les Bleues gagnent en popularité en métropole, leur notoriété semble moins effective en Polynésie. Interrogée sur l’engouement autour de l’Équipe de France féminine, Stéphanie Spielmann répond franchement : « ce sont surtout les métropolitains expatriés qui s’y intéressent. Avec nos douze heures de décalage, il nous est arrivé de regarder des matchs à neuf heures du matin. Il y a très peu de gens qui s’y intéressent. Pour les Polynésiens, le pays c’est la Polynésie. Avec la Coupe du Monde féminine, les choses ont un peu changé. Les filles sont capables de parler de Wendie Renard et Eugénie Le Sommer. Même pour la coupe du Monde masculine, il n’y avait pas un franc soutien pour la France ».
Un détachement relatif, qui pourrait s’atténuer à mesure du développement de la pratique, lorsque des polynésiennes seront à leur tour citées en exemple.