
Alors que la D1 et la Ligue des Champions féminine attirent de plus en plus de supporters et de curieux, des centaines de « petits clubs » dans toute la France agissent pour développer le football féminin. L’Équipière a discuté avec Philippe Macé et Solène Carré de l’AS Bourny, à Laval, pour aborder le rôle de ces clubs de l’ombre.
Créé en 1978, l’AS Bourny n’est pas un club connu. Son équipe masculine senior joue en R1 et la féminine en inter-départemental. Pourtant, son histoire est celle de centaines de clubs – ceux de notre enfance, ceux dans lesquels jouent nos enfants ou dans lesquels nous-mêmes touchons le ballon rond.
Une popularisation à double tranchant
Créée il y a 20 ans, la section féminine de l’AS Bourny compte aujourd’hui une cinquantaine de licenciées, toutes catégories confondues (U13, U18 et senior). Elle a été, pendant longtemps, l’une des rares équipes féminines de la Mayenne. En deux décennies, le président du club, Philippe Macé, a vu la lente évolution du football féminin dans la région : « Il y a [encore] 3-4 ans on avait du mal à faire un championnat, il y avait 5-6 équipes en Mayenne et on tournait un peu en rond. Mais maintenant, tout le monde veut avoir ses équipes féminines. » Un bon signe pour le football féminin, qui semble ainsi gagner en popularité et en qualité de jeu. « Plus il y a d’équipes féminines, plus il y a de matchs » et l’attractivité de la pratique de ce sport augmente.
« En Mayenne, le football féminin est moins développé que dans le reste de la région »
Pourtant, cette bonne nouvelle apparente cache un côté plus sombre. Si le nombre de sections féminines augmente, le nombre de joueuses n’évolue pas toujours dans les mêmes proportions. Comme le mentionne Solène Carré, référente de la section féminine du Bourny, « en Mayenne, le football féminin est moins développé que dans le reste de la région », la répartition des joueuses entre les clubs devient alors difficile. Philippe Macé évoque par exemple le déclin progressif du club précurseur des Francs-Archers. Jadis premier club avec une section féminine, il se retrouve aujourd’hui en « perte de souffle » face à la création de nouvelles sections dans la région. Alors qu’avant les rares équipes féminines se partageaient les quelques joueuses du département, ils laissent maintenant place à de nouveaux clubs, aux ressources plus importantes.
Le recrutement, élément central du développement
À l’objectif de formation des pratiquantes, s’ajoute donc l’impératif du recrutement et de la fidélisation des joueuses. Comme le nombre d’intéressées n’est pas suffisant, les clubs doivent trouver un moyen de toucher un nouveau public. D’après Philippe Macé, plusieurs moyens d’attirer les jeunes existent, comme « le bouche à oreilles, faire des portes ouvertes en fin de saison et aller dans les écoles. » Le club a également multiplié ses interventions dans les médias pour se donner davantage de visibilité. Pour pallier au « faible vivier de joueuses » et au départ de certaines vers des clubs plus importants, tous les moyens sont bons.

Solène Carré en tenue de l’AS Bourny
Solène Carré explique cette difficulté à recruter des joueuses : « nous sommes un club dans une petite commune, donc on est obligés d’aller chercher des joueuses dans différents quartiers ». Le président surenchérit en soulignant qu’au-delà du recrutement, ils doivent aussi faire face au départ des plus âgées : « À 17-18 ans les joueuses passent le bac puis partent étudier, ce qui met en péril toute la catégorie U18 et au-dessus. » Sans ces joueuses-là, l’équipe senior se retrouve démunie et peut difficilement évoluer. Dans ces conditions, d’autres décident aussi de quitter le club à la recherche d’un niveau plus élevé. « Les meilleures filles de Mayenne se retrouvaient à aller au Mans ou à la Croix-Blanche », précise la référente de la section féminine.
Un travail de fond pour faire face aux “grands”
Avec l’arrivée sur le marché du football féminin de clubs de la région comme le Stade Lavallois (qui n’a pas encore de section féminine sénior), l’US Changé ou encore Le Mans FC, la chasse aux talents se fait donc plus difficile. « Ils ont un blason et des infrastructures qui attirent », explique Solène Carré, qui ajoute « vu leur projet actuel, je ne m’inquiète pas trop, mais quand ils en auront un qui tient la route, là ils nous feront de l’ombre. ». En effet, beaucoup de clubs reconnus dans le football masculin décident de créer des sections féminines – par effet de mode, nécessité ou comme moyen de recevoir des aides financières – et veulent rejoindre le plus haut niveau de compétition au plus vite. Si certains vont jusqu’à créer leurs centres de formation, d’autres, voulant rattrapper leur retard, absorbent des sections féminines d’autres clubs alentours ou recrutent leurs joueuses, faisant le malheur de ces derniers.
« L’objectif est de créer un vivier de jeunes pour les faire grandir avec nous »
Pour contrecarrer cette stratégie, l’AS Bourny a compris que la survie de son équipe féminine dépendait de la formation des plus jeunes : « il faut se concentrer à avoir énormément de joueuses dans les catégories jeunes et les faire monter ensemble pour avoir, à l’arrivée, des joueuses qui restent en senior. » Dirigeants et éducateurs sont pourtant conscients que cette stratégie prendra du temps : « si on n’a pas de catégories ados ou senior tous les ans, tant pis. L’objectif est de créer un vivier de jeunes pour les faire grandir avec nous. On se donne du temps » précise Philippe Macé.
Les deux intervenants sont d’accord sur la manière de faire face à cette concurrence : innover et monter un projet de fond sur la durée, et vite. « Ça nous oblige à avoir de nouvelles idées, trouver des solutions et avancer », explique le dirigeant du club, en annonçant la future création d’une Académie de football féminine, calquée sur l’Académie masculine que le club possède déjà. « Ce serait la première académie de football de Mayenne dédiée aux filles ! » déclare fièrement Solène Carré « Le football féminin est peu développé par rapport au reste de la région et ça nous tient à coeur de l’impulser. » La logique semble imparable : du travail de fond sur la durée pour pallier à une stratégie de recrutement expéditive. L’éducatrice du Bourny est même très optimiste quant à ce plan de développement : « D’ici 3-4 ans je pense qu’on aura notre équipe senior en R1 ou en R2. Et à partir de là, on aura la possibilité de chercher des joueuses ailleurs en Mayenne. »
Le COVID-19 brouille les plans
Pourtant, un nouvel obstacle s’est récemment présenté : la pandémie du COVID-19. Pour le Bourny, comme pour les autres, l’arrêt des compétitions met en danger les finances du club, entre perte de licenciées et de sponsors. « Notre budget à la rentrée est inconnu… » s’inquiète Pierre Macé. Cela remet donc évidemment en question la création de l’Académie de football à la rentrée, projet qui représente l’avenir de la section féminine du club.
« On va essayer de se retrouver dès que ça sera possible, mais pour l’instant c’est compliqué »
Le rôle social essentiel que jouent les clubs de quartier a aussi été mis à mal. Pour remédier au mieux au confinement, le club met en place tant bien que mal des moyens d’interagir avec les joueuses, « par exemple des séances de renforcement musculaire en vidéo pour ceux qui veulent, on a aussi fait fait des interviews avec quelques filles pour les mettre en valeur sur les réseaux sociaux… On va essayer de se retrouver dès que ça sera possible, mais pour l’instant c’est compliqué » explique Solène.
À ces difficultés s’ajoute l’incertitude de l’avenir : « On ne sait pas où on va, à la reprise. Quand, comment et avec qui est-ce qu’on pourra reprendre ? » se demande Philippe Macé. Évoquant les divers scénarios possibles, il s’inquiète des conséquences sur le recrutement de licenciées et le départ des anciennes si les entraînements ne reprennent pas vite. « Une reprise progressive devrait être annoncée par la Ligue Régionale dans la semaine », et le club a déjà décidé qu’une fois l’annonce faite, des entraînements et des journées portes ouvertes seront organisés pendant l’été… Il s’inquiète cependant des conditions de reprise : « si on a le droit de recevoir des gens mais sans pouvoir faire de match, qu’est-ce qu’ils feront ? »

Les éducateurs feront le nécessaire, mais avec quelle efficacité ? Les jeunes seront-ils aussi motivés s’ils ne peuvent pas toucher au ballon ? Est-ce possible de véritablement les former dans ces conditions ? Ces questions, Solène Carré se les pose aussi, déplorant déjà les dégâts du confinement : « c’est une année de perdue dans l’apprentissage des jeunes. C’est un moment important où les U13 apprennent l’aspect tactique et la saison prochaine il faudra refaire ce qu’on aurait dû travailler cette année. » Un problème majeur pour ce club dont l’avenir de la section féminine dépend de la formation de nouveaux talents.