© Inès Roy-Lewanowicz
Alors que la période du marché des transferts approche, l’Équipière s’est entretenu avec les agents et les dirigeants du football français pour évoquer l’impact du Covid-19 sur le mercato, et sur le développement économique du football féminin.
Mi-mars, le football mondial était mis à l’arrêt par la pandémie mondiale. Si certains championnats comme la Bundesliga féminine – qui a déjà repris – ou la NWSL – reprise le 27 juin – vont rejouer, d’autres ont été définitivement arrêtés, entraînant parfois de lourdes pertes économiques. Les acteurs du mercato analysent les conséquences du Covid-19 et se projettent sur le développement du football féminin d’après crise, avec beaucoup d’espoir pour la suite.
« Un mercato quasi bouclé » – Sébastien Joseph
« Au début du confinement, la priorité n’était pas du tout de se projeter sur la saison prochaine, il fallait surtout trouver des solutions de congés payés, puis de chômage partiel, c’était toute une organisation » introduit Sonia Souid, agente historique du football féminin et largement implantée sur le marché masculin. Mais après des mois de mars et avril complètement chamboulés, le grand calme du confinement a permis de faire avancer les transactions. « Il faut réaliser qu’on est fin mai, que la période des transferts n’a pas démarré. Même s’il y avait moins de fonds, les gens ont pris le temps de parler. J’ai fini le plus gros de mon mercato, ce n’était pas forcément le cas les autres années » explique Alan Naigeon de l’agence A&V SPORTS. « La crise n’a fait que retarder un petit peu le début des tractations, ça n’a pas changé notre façon de travailler » ajoute David Villechaise, directeur administratif du MHSC. Si le marché des transferts n’a pas officiellement ouvert, de nombreux dossiers sont déjà réglés. Un constat partagé par Sébastien Joseph : « l’arrêt de l’activité a entraîné une avancée du mercato. La saison ne devrait pas être encore terminée, et pourtant on a quasiment bouclé notre mercato » note l’entraîneur de l’ASJ Soyaux.
«Si une joueuse part, est-ce que sa remplaçante aura le droit de jouer la Coupe d’Europe? » – Alan Naigeon
Un mercato international tout de même bouleversé
Alan Naigeon observe néanmoins quelques fâcheuses conséquences du Covid. « Beaucoup de joueuses qui étaient motivées pour partir à l’étranger ont calmé leurs ardeurs, parce qu’être proche de la maison en ces temps a des avantages. D’autres adorent leur expérience à l’étranger mais pensent à rentrer, parce que le COVID a été très brutal » relate celui qui représente notamment Ada Hegerberg et Sam Kerr. Les transactions internationales sont aussi plus difficiles : « C’est très compliqué pour trouver les vols, savoir comment ça va se passer, quand est-ce que les équipes reprennent… Mais aujourd’hui, la vraie raison pour laquelle le mercato n’a pas encore vraiment commencé, c’était l’incertitude sur la fin de certains championnats étrangers » développe l’agent de joueuses.
L’issue des championnats nationaux et la volonté de l’UEFA de poursuivre la Ligue des Champions cet été posent de sérieuses questions. « Certains clubs veulent bouger dans les deux sens avec leurs joueuses, mais attendent des décisions d’en haut. Si une joueuse part, est-ce que sa remplaçante aura le droit de jouer en Coupe d’Europe ? C’est la question » s’interroge le co-fondateur de A&V SPORTS. Si David Villechaise affirme que le club pailladin ne rencontre pas de difficultés particulières dans son recrutement, « la reprise du championnat allemand complique un peu la tâche » convient-il. Ce calendrier complètement chamboulé pourrait pousser les instances à modifier les dates de mercato FIFA, une idée évoquée début avril par la maison mère du football mondial.
« L’économie a été revue à la baisse pour la plupart des clubs » – Sébastien Joseph
Une économie peu touchée par la crise, mais un développement freiné ?
L’absence de recettes pendant le confinement et les difficultés économiques ont poussé les clubs à mettre joueurs et joueuses au chômage partiel. Mais cela n’a pas suffi, la crise économique est bien là. « Chez les garçons, les clubs n’ont souvent aucune idée de l’enveloppe budgétaire qu’ils peuvent utiliser. Même chez les filles, dans certains gros clubs, les prolongations de contrat ont été retardées, car ils étaient dans l’incapacité de faire une offre ferme » nous éclaire Sonia Souid, qui compte une douzaine de clients dans le football féminin. Pour l’avocat au barreau de Paris Sevan Karian, les conséquences économiques sur les sections féminines seront moindres. « Ce sont de petits budgets, je ne pense pas qu’il y ait un impact énorme. Mais un club comme Lyon peut se retrouver plus impacté. Ils prennent de pleins fouet la crise chez les garçons, le budget des féminines sera revu à la baisse » relève celui qui conseille de nombreuses joueuses et clubs.
Mais pour Sébastien Joseph, la crise est déjà visible. « l’économie a été revue à la baisse pour la plupart des clubs, notamment chez les clubs professionnels qui investissent des pourcentages de budget pour les filles ». Ce ne sera pas le cas de Soyaux dont le passage sous SAS va permettre d’avoir budget grandissant. Mais à l’entendre, la crise pourrait frapper de plein fouet les joueuses. « Le marché a avancé assez vite et assez tôt, les clubs ont réduit leurs effectifs. Certaines restent sur le carreau et d’autres ont dû revoir leur prétentions ou salaires à la baisse. » prévient le coach sojaldicien.
Sevan Karian, s’inquiète davantage pour le développement du football féminin, « Ceux qui avaient prévu d’aller plus loin dans un projet, malheureusement ne vont pas le faire tout de suite. Mais par exemple, le RC Lens travaille sur une fusion avec le club d’Arras et ils vont quand même le faire. Mais ça peut freiner un peu les choses » note l’avocat. Il est aussitôt rejoint par Sonia Souid, « ma crainte, c’est que les premières à souffrir soient les sections féminines des clubs professionnels » s’exclame l’agente d’Amandine Henry ou des soeurs Cascarino.
Les 500 000 euros par club versés par la Ligue 1 vont changer la donne
Mais le 21 mai, les clubs de Ligue 1 se sont mis d’accord pour un financement du football féminin à hauteur de 500 000 euros par club de D1. Une véritable aubaine en pleine crise. Si cette nouvelle doit encore être validée par Noël le Graët, plusieurs sections féminines vont voir leur budget grimper de 30 à 40%. « Pour Lyon ou Paris, ce n’est pas beaucoup mais pour les plus petits clubs, cette somme est énorme » s’enchante Alan Naigeon, tout de suite rallié par Sébastien Joseph. « À 100 000 euros près, c’est notre masse salariale sur l’année. Les offres de contrat seront peut-être revues à la hausse, mais la nouvelle arrive tardivement, beaucoup de joueuses se sont déjà réengagées » regrette-il. Un mercato à deux poids, deux mesures donc, entre les joueuses qui ont signé avant et après cette nouvelle source d’argent? « Ça peut potentiellement être le cas… Mais à Soyaux, Il est hors de question qu’on augmente d’un coup nos salaires, par contre peut-être qu’on fera un ou deux contrats de plus…»
«Avec pas grand chose pour le football masculin, on pourra faire beaucoup pour les féminines » – Sevan Karian
Cette nouvelle enveloppe budgétaire devrait être renouvelée sur plusieurs années et pourra être utilisée au bon vouloir des clubs. Et notamment pour le mercato, bien que les transferts payants ne devraient pas débarquer massivement cet été. « Sur quelques dossiers, quand une joueuse sous contrat voudra partir, que le club est d’accord, peut-être qu’il y aura des premiers petits transferts, ça éviterait que la joueuse ait besoin d’attendre plusieurs années la fin de son contrat » espère le directeur associé de A&V SPORTS. Mais pour Sébastien Joseph, ce n’est pas la priorité. « On opte plutôt pour une meilleure structuration de l’équipe : structurer le staff médical, l’achat d’un bus spécifiquement pour la D1, de la kiné, cryo, balnéo… Cela doit profiter à l’ensemble de l’équipe » insiste le coach. Alors que l’Association pour le football professionnel féminin (AFPF) travaille à la conception d’un championnat professionnel haut de gamme, l’aide du Collège de la Ligue 1 est forcément la bienvenue. « Si le football masculin commence à aider le football féminin, il y aura une grosse augmentation de budget. Avec pas grand chose pour le football masculin, on pourra faire beaucoup pour les féminines » conclut Sevan Karian.