À 19 ans, Selma Bacha concentre les compliments. La jeune latérale gauche impressionne par son aisance technique et athlétique, mais aussi par sa force de caractère bien singulière. Portrait.
« Selma, je la vois arriver tout en haut… Peu de défenseures ont sa niaque, son agressivité, ses capacités athlétiques, sa qualité de centre… elle peut prétendre à une place parmi les très très grandes » se précipite Wendie Renard, à l’autre bout du fil. À peine évoquée, celle qui n’a pas encore soufflé ses vingt bougies suscite une vague de compliments, mais aussi une immense attente. Il faut dire que la jeune gauchère au chignon sur la tête a déjà deux Ligues des Champions, trois championnats de France et un Euro U19 en poche. « Elle a démarré tambour battant avec une titularisation victorieuse en finale de Ligue des champions à 17 ans » s’exclame Sonia Bompastor, son entraîneure durant sa formation à l’OL.
Palette complète, potentiel évident
Sur son couloir gauche, ses exploits sautent aux yeux. « Elle a l’avantage d’être l’une des seules très bonnes gauchères, c’est une denrée rare. Elle est pleine de qualités, je suis persuadé qu’elle va réussir » rapporte Reynald Pedros. Ses coéquipières en club et stars de l’Équipe de France tirent dans le même sens. « Elle a sa frappe de balle, sa détermination, sa puissance, c’est une joueuse d’avenir » assure Amel Majri avant que Wendie Renard n’ajoute « Elle est très complète ». Ses 1,61m et 58kg, Selma les utilise pleinement. « Elle a des qualités athlétiques de tonicité, de vitesse, de volume de jeu… » énumère Sonia Bompastor. Des aptitudes physiques que son ancien préparateur physique à l’OL avait bien perçues : « elle est petite, menue, mais de par sa qualité d’engagement dans les duels, elle résiste à des adversaires mieux armées qu’elle » se remémore Guillaume Tora.
« Il y a toujours eu un respect mutuel entre nous, on a une belle complicité, c’est comme ma petite soeur » Amel Majri
Une enfant gone aux débuts fracassants
Selma est une enfant de la grande époque des Bleus. « Quand j’étais enceinte, à chaque but de Zidane, je l’entendais frapper dans mon ventre » raconte non sans émotion Molka Aouni, la mère de Selma. Fenotte de toujours, c’est tout près de Gerland que Selma fait ses premiers rêves, le cuir au pied. « Sa chambre donnait sur le stade. À 4 ans, elle regardait les entraînements des séniors depuis sa fenêtre qui restait ouverte. Un soir, elle m’a demandé, “maman, tu crois que moi aussi je jouerai sur le terrain un jour?” » confie Molka avant d’enchaîner, « Toute la famille est de Lyon, elle veut y rester à vie, c’est son club de coeur. C’est une vraie lyonnaise ! » s’enchante-elle.
C’est à 8 ans, lors d’une opposition entre le FC Gerland et l’Olympique Lyonnais, que Selma est repérée par les recruteurs de l’OL. Elle se lance dès lors dans le grand bain de la formation lyonnaise. Autre gone de toujours, sa grande amie Amel Majri témoigne « Je la connais depuis toute petite, je suivais ses performances, parce que je suis aussi passée par là. Il y a toujours eu un respect mutuel entre nous, on a une belle complicité, c’est comme ma petite soeur ! » explique l’internationale tricolore.
Pendant longtemps, Selma n’a pas eu de poste préétabli. « Elle était plutôt milieu de terrain. Elle pouvait s’adapter et c’était intéressant de lui faire découvrir différents postes. On l’a essayée latérale assez tard » explique Sonia Bompastor. Et à la demande de la direction lyonnaise et sur proposition de l’ex-latérale gauche des Bleues, Selma découvre le groupe professionnel au galop, à 16 ans. «On s’est vite rendus compte qu’elle avait des aptitudes au-dessus de la moyenne et qu’elle avait envie d’intégrer le groupe professionnel » se souvient celui qui l’a lancée, Reynald Pedros.
Alors que les joueuses internationales reviennent tardivement des compétitions estivales, Selma marque les esprits, notamment lors d’un tournoi de pré-saison à Toulouse. « Titulaire contre Manchester City, elle fait une grosse performance sur tous les plans, c’est un match clé » raconte Guillaume Tora. C’est dans cette lignée que Selma effectue une saison 2017-2018 de haute volée. Titulaire à vingt reprises, dont six fois en Ligue des Champions, elle profite aussi des envies offensives de Majri. « Amel voulait jouer plus haut et on n’avait pas de doublure à ce poste-là, c’était le moment idéal. Elle ne s’est pas posée de questions et s’est affirmée comme titulaire potentielle » commente Reynald Pedros. Wendie Renard se souvient avoir été impressionnée par ses débuts, « À Kiev contre Wolfsburg (ndlr : finale de Ligue des champions 2017-2018), on aurait dit qu’elle avait plusieurs finales derrière elle, elle maîtrisait tout » confie la capitaine de l’OL.
« Selma a un sacré caractère, mais on ne devient pas champion sans caractère » Wendie Renard
« Selma, on la surnomme “Brutus” (la brute) pour sa fougue, son agressivité » relate tout sourire Amel Majri. C’est d’ailleurs cette énergie qui dès l’enfance avait attiré l’oeil des recruteurs rhodaniens. Le nom même de Selma Bacha évoque pour ceux qui l’ont connue, une jeune de talent au tempérament à part. « Sa force mentale, elle l’a eue avant les autres. C’est une vraie compétitrice, elle a horreur de la défaite » livre Sonia Bompastor. En jouant dès l’adolescence aux côtés des Dzsenifer Marozsan et autre Ada Hegerberg, la Bleuette a vite grandi. D’un regard assuré, elle s’est tournée vers l’horizon, prête à faire le grand saut dans la meilleure équipe du monde. Comme quand « À 5 ans, Selma avait sauté d’un plongeoir de dix mètres à la piscine, sans hésiter » relate Molka Aouni.
Mais en dépit de son potentiel et de ses prouesses sur la pelouse, Selma n’est pas encore internationale française, ni titulaire indiscutable à Lyon, où elle est en concurrence avec Alex Greenwood. Alors comme souvent avec les enfants prodiges, l’impatience règne.
Déchaînée sur le rectangle vert, elle peut parfois omettre de temporiser, de trouver la passe juste. « Elle est un peu trop bourrine (rires). Elle fait tout à fond, ça part de très bons sentiments, mais parfois elle se précipite, elle va canaliser tout ça et dans quelques années, elle comprendra. Selma a un sacré caractère, mais on ne devient pas champion sans caractère ! » glisse Wendie Renard, rejointe par sa partenaire à Lyon et chez les Bleues : « Il ne faut pas qu’elle s’endorme. Le talent ne suffit pas, il faut travailler. Il faut qu’elle soit concentrée, c’est le chemin de la réussite. C’est son côté enfant, quand elle gommeras ça, elle sera encore meilleure » rassure Amel Majri.
Une dose d’expérience pour franchir un palier
La première de ses trois saisons dans le Rhône fut certainement la plus aboutie, pour diverses raisons. L’insouciance de la jeunesse peut-être, la difficulté à confirmer sûrement. Il y a aussi la lésion de dix centimètres à la cuisse qui l’a empêchée de faire la dernière préparation estivale.
« Le placement, il faut le vivre pour se tromper et apprendre. Avec les joueuses plus anciennes, on a ce rôle-là de l’aider » Wendie Renard
Mais les deux entraîneurs qui l’ont le mieux connue suggèrent des axes de progression. « Sa plus grosse marge selon moi, c’est sur l’aspect tactique, l’intelligence de jeu, le placement défensif. C’est normal, elle n’a pas été entièrement formée à ce poste » relève la patronne de la formation à l’OL. « Elle peut aussi s’améliorer dans les duels. À Lyon, les latérales sont très offensives, mais au niveau européen, il ne faut pas oublier que défendre, c’est le plus important à ce poste-là » note Reynald Pedros. « Comme une seconde mère pour Selma » d’après sa maman, Wendie Renard lui glisse quelques conseils : « Le placement, il faut le vivre pour se tromper et apprendre. Avec les joueuses plus anciennes, on a ce rôle-là de l’aider. Elle peut m’appeler à n’importe quelle heure, je serai là pour l’écouter, mais à l’inverse, elle sait que j’attend beaucoup d’elle sur le terrain » développe la défenseure de 29 ans, avant de conclure « Selma, elle est “attachiante”, c’est un amour, une bonne petite, je l’adore ».
L’été dernier, Selma n’était pas retenue pour jouer la Coupe du Monde en France. Une déception de taille pour la jeune lyonnaise. Mais c’est une évidence pour tous, Selma sera internationale française « Ce report de l’Euro lui donne du temps pour se montrer. Ça se fera prochainement, j’en suis convaincue » affirme Sonia Bompastor. L’enchaînement Euro, Coupe du Monde, et JO 2024 à Paris devrait lui permettre de gravir cette étape supplémentaire vers le bleu saphir.